Vipère au poing

Ce livre ne se sera pas resté bien longtemps dans ma PAL. Je vous en avais parlé dans l’un de mes derniers billets dédiés aux récentes acquisitions de Noël. Si je connaissais l’écrivain de réputation, je n’avais pourtant jamais lu auparavant l’une de ses œuvres et n’avait qu’une vague idée de leur contenu. Et bien c’est chose faite ! Je suis bien contente d’avoir franchi le pas!

Vipère au poingsCe roman hautement autobiographique à la couverture sévère relate l’enfance éprouvante d’Hervé Bazin et en particulier la relation tumultueuse qu’il entretint jusqu’à sa mort avec sa mère.

Durant l’été 1922, aux côtés de son frère aîné Ferdinand, Jean dit Brasse-Bouillon, le narrateur vit chichement sous la tutelle de sa grand-mère paternelle dans la propriété lugubre de la Belle-Angerie, ses parents s’étant établis pour une durée indéterminée en Chine, où le père entreprend d’importantes recherches pour ses travaux d’entomologie. Par malheur, cette grand-mère bienveillante décède à la suite d’une longue et pénible maladie, abandonnant la jeune fratrie à leur triste sort. Les parents légitimes se voient dès lors dans l’obligation de revenir en France, ayant hérité de la vieille demeure, et s’étant résolu à prendre en main l’éducation des deux enfants. Brasse-Bouillon et son frère y voient une occasion rêvée de faire enfin la connaissance de leurs chers parents et de leur frère cadet, Marcel, qui lui a eu le privilège de naître outremer. Les deux jeunes gens se réjouissent trop vite de ce changement de vie ne se doutant pas du fléau qui les attend.

« Le hasard donc, le même hasard qui fait que l’on naît roi ou pomme de terre, que l’on tire une chance sur deux milliards à la loterie sociale, ce hasard a voulu que je naisse Rezeau, sur l’extrême branche d’un arbre généalogique épuisé, d’un olivier stérile complanté dans les derniers jardins de la foi. Le hasard a voulu que j’aie une mère. »

Leur mère se révélera être une femme infâme à la personnalité vipérine. Elle tentera de leur imposer une éducation rigide et draconienne. Mais Jean, le plus valeureux d’entre eux ne craint pas les serpents, lui a pris l’habitude de les étouffer dans ses petits poings, il opposera un refus formel à sa mère et mènera contre elle une guerre sans merci, au risque d’y perdre sa propre âme…

Voici la bande-annonce du film:

Hervé Bazin n’y va pas de main morte pour brosser le portrait de sa mère. Cette dernière est en effet peu ménagée tout au long du livre. Sa rigidité morale se lie dans son aspect physique : Madame Rezeau, née Pluvignec, est laide, a le cheveu filasse et le menton en galoche. Son seul trait de beauté réside dans son regard affuté. Ses yeux ont la couleur de ceux d’un reptile et se plissent comme ceux d’une vipère lorsqu’ils se veulent scrutateurs. Les enfants exècrent cette femme à la fois acariâtre, sectaire et castratrice qui n’hésite pas à affirmer son petit pouvoir en martyrisant sa propre progéniture. « Folcoche » contraction subtile de deux mots « folle » et de « cochonne », le sobriquet ridicule dont les enfants ont affublé leur mère odieuse, emploie sans scrupules de multiples subterfuges outranciers pour punir injustement ses enfants, les accusant de tous les maux possibles et imaginables.

Cette oppression ne pourrait être aussi efficace sans le consentement implicite d’un père démissionnaire. Monsieur Rezeau est un homme faible, un piètre mari et père, qui pratique avec maestria la politique de l’Autruche. Plutôt que d’affronter son dragon de femme, ce dernier préfère s’absorber dans l’étude dérisoire des mouches qu’il nomme sous l’appellation pompeuse de diptères.  Le père Rezeau n’est pas dupe de ce qui se trame sous son toit, pourtant il est peu enclin à intervenir étant lui-même aussi sous la coupe de cette marâtre. En effet, il vit principalement de la dote de sa femme, ne pouvant à peine tirer de profits des maigres revenus que lui procure ses biens et se refusant par orgueil de son rang de petit bourgeois, à l’idée du travail.

L’atmosphère du roman est lourde et le livre s’achèvera sur une note bien plus sombre. Hervé Bazin retrace une enfance dont l’apprentissage de la vie s’est ainsi fait dans la douleur. Madame Rezeau ne réussira jamais à briser totalement Jean. Au contraire, la lame s’affutant un peu plus à force de repasser sur le cuir, le jeune garçon deviendra un homme cynique. Folcoche l’initiera au mépris et à la haine de l’autre. Désormais, il ne pourra plus compter sur personne et deviendra le digne fils de sa mère.

Avec un regard sans œillère, doté d’une plume impeccable et d’un trait d’humour noir que j’ai particulièrement apprécié, l’écrivain nous livre un véritable réquisitoire contre la tyrannie familiale. Dût-il évoquer des souvenirs difficiles, son timbre demeure toujours allègre. Les enfants savoureront chaque instant de répit, et auront tout de même une jeunesse relativement bonne. Toutefois, ce qui à mon sens reste fascinant dans cette histoire, c’est l’empreinte que sa mère laissera sur le narrateur même à l’âge adulte, la façon dont elle forgera finalement sa personnalité et le regard lucide que le romancier portera dorénavant sur le monde qui l’entoure.

Un livre donc d’une cruauté rare sur l’enfance à mettre entre toutes les mains !Que vous dire de plus pour vous convaincre de lire ce petit bijou littéraire ?

Catherine Frot incarnant La mégère

Catherine Frot incarnant l’horrible mère

J’ai à présent hâte de pouvoir me procurer le second volet de cette trilogie, La mort du petit cheval, encore un livre qui s’ajoute à ma LAL (Liste à lire pour les blogueurs novices). Reste maintenant à visionner l’adaptation cinématographique de Philipe de Broca mettant en scène Catherine Frot dans le rôle disgracieux de la mégère. Mes parents m’ont acheté le dvd et me l’ont envoyé. Je guette le courrier !

Hervé Bazin en compagnie de sa mère lors d’une signature pour son roman Vipère au poing.Hervé Bazin et sa mèreL’auteur en bref : Hervé Bazin, écrivain poète décédé à l’âge de 84 ans est toujours aujourd’hui une référence incontournable dans le domaine scolaire. Son père, docteur en droit a longtemps enseigné en Indochine à l’Institut catholique d’Honoï. L’écrivain connaîtra un franc succès en 1948 pour Vipère au poing, sa toute première œuvre en prose. Ce romancier a été également membre de l’Académie Goncourt.

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10 commentaires pour Vipère au poing

  1. grigrigredin dit :

    J’ai lu ce livre il y a très longtemps, et je me souviens l’avoir trouvé très puissant. A remettre dans ma PAL…(http://grigrigredin.wordpress.com/)

  2. kimysmile dit :

    Ton blog est très chouette !

  3. Syl. dit :

    Très belle bannière !
    J’ai lu ce livre quand j’étais gamine et j’ai beaucoup pleuré ! J’en garde donc un mauvais souvenir.

    • missycornish dit :

      C’est vrai que c’est un livre dur d’une certaine façon. Les enfants font beaucoup de peine et il y a quelquechose de désespérant dans l’écriture d’Hervé Bazin et en même temps tellement optimiste. Cela ne m’a pas fait pleurer mais c’est une lecture qui peut mettre mal à l’aise. Difficile d’imaginer une mère qui déteste ses propres enfants.

      Merci pour la bannière!

  4. alexmotamots dit :

    Quelle femme, cette folcoche !

  5. M de Brigadoon Cottage dit :

    Je l’ai lu il y a très longtemps et ton article me donne envie d’y goûter à nouveau . Le DVD est toujours là , ais-je la permission de le regarder avant de l’envoyer ?

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