L’auberge de la Jamaïque

md18227019468Marie Yellan, une jeune fermière, se retrouve sans le sou après que sa mère ait succombé d’épuisement. Sur son lit de mort, cette dernière lui a fait promettre de rejoindre sa jolie tante Patience, l’épouse d’un aubergiste au commerce florissant. Là-bas, à l’auberge de la Jamaïque, l’attend une vie meilleure, loin du labeur éreintant de sa modeste condition. Mais à son arrivée, la jeune femme déchante promptement, l’endroit est lugubre, les cochers ne tardent guère dans ce lieu infâme à la réputation plus que douteuse. L’auberge sinistre se dresse en effet sur une colline déserte, balayée par des bourrasques infernales… Dans ce lieu reculé, Marie Yellan découvre plein d’effroi un climat des plus austère, et son oncle, Joss Merlyn, un homme rustre et vulgaire au tempérament colérique et brutal. Quant à sa tante, ce petit bout de femme fragile et larmoyante, elle semble terrifiée par son environnement. Que se passe-t-il vraiment au sein de cette auberge? Où sont donc passés les clients? Et pourquoi l’endroit n’est pas davantage entretenu? La jeune héroïne se retrouve malgré elle prisonnière de ce lieu effroyable qui lui révèle peu à peu les terribles secrets des naufrageurs, ces brigands qui parcourent la nuit les dunes de sables pour y commettre des crimes abominables …

Publié pour la toute première fois en 1936, ce roman noir aux accents gothiques n’a pas pris une ride ! Quelle intrigue haletante!  Il reste encore aujourd’hui un pur joyau de la littérature britannique et un classique indétrônable. C’est un sans faute pour cette œuvre ensorcelante qui nous transporte à travers les siècles en nous faisant découvrir les Cornouailles d’antan. L’auberge de la Jamaïque est un endroit fantomatique et hypnotique inlassablement cinglé par une pluie froide et fine qui recouvre l’ensemble de ce paysage morne et à demi-sauvage. C’est aussi le théâtre de nombreux crimes sinistres. Le lecteur sent bien qu’il s’y passe de terribles méfaits mais ne voit pour ainsi dire rien. L’écrivaine fait perdurer le mystère presque jusqu’aux derniers chapitres en distillant au fil du récit des indices comme pour renforcer un peu plus le malaise déjà pesant de cette atmosphère pour le moins asphyxiante. Ainsi, une corde pendue à une poutre se balance doucement dans une pièce sale et déserte, quelques taches de sang ont coulé sur le sol… Qui donc a bien pu être exécuté dans l’auberge un soir de pleine lune? Car si le jour, l’endroit semble complètement abandonné, la nuit, des rôdeurs viennent y déposer des cargaisons suspectes, certaines en bois ont même la forme de cercueils… Marie Yellan pense d’abord innocemment à des produits de contrebande mais l’horreur s’accentue peu à peu, jusqu’à atteindre son paroxysme dans les dernières pages du livre et c’est ainsi que cette demeure insalubre, auréolée de mystères, livre au fur et à mesure ses secrets …

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Ces secrets sont d’ailleurs révélés de la bouche du tavernier lui-même qui, lorsqu’il succombe à ses vices en s’adonnant à la boisson, est soudainement pris de remords et tente d’absoudre ses péchés en les confessant dans une transe macabre pour finalement oublier dès son réveil sa faible conscience. Une trouvaille d’écriture tout simplement géniale de la romancière ! Quel style fluide et rythmé ! 

Rien de surprenant à ce que Hitchcock, le grand maître du supsence, se soit intéressé de prêt à l’œuvre de Daphne du Maurier et ait même adapté plusieurs de ses livres. Il avait reconnu le talent indéniable de cette grande romancière britannique. Il est cependant regrettable que l’adaptation de 1939 de l’auberge de la Jamaïque pour le grand écran (la plus célèbre) soit si dépassée et finalement devenue aujourd’hui une parodie grotesque du genre. Le film a en effet très mal vieilli (je n’ai pas réussi à aller jusqu’au bout) a contrario de Rebecca (ma chronique ici) qui reste à mon sens encore un chef-d’œuvre intemporel du genre. A quand d’ailleurs une nouvelle adaptation?  J’ai vu qu’une adaptation pour la télévision en mini-séries a vu le jour en 2015, je ne sais cependant si elle est de qualité (je compte bien la voir prochainement). La réalisation magistrale de Ma cousine Rachel de 2017 avec Rachel Weisz dans le rôle-titre, a prouvé que l’œuvre de Daphne du Maurier pouvait encore résonner aujourd’hui dans notre époque. La place de la femme dans sa société étant également au coeur de ses livres.

Marie Yellan est par ailleurs avant tout un personnage féminin étonnement féministe pour son temps. Mais ce qui rend aussi ce récit particulièrement intéressant et original est cette vision de l’auteure très documentée et réaliste qui met en lumière une femme évoluant toujours selon les codes de son époque. Cet aspect du roman renforce un plus encore le caractère authentique de l’histoire. Nous sommes de ce fait plongé dans le milieu du XVIIIème siècle, la place de la femme est soit aux fourneaux soit aux côté de son homme ou les deux à la fois ! Sans complaisance, l’auteure en fait le constat. Notre héroïne est toutefois bien consciente des limites que son rang lui impose tout comme de ses propres faiblesses et pourtant, elle fait toujours preuve d’un courage inébranlable face aux terribles événements qui la submerge sans cesse. Elle sait également que l’amour la perdra irrevocablement comme elle a perdu sa tante Patience, désormais devenue une loque humaine. Elle qui était si belle et pimpante a ainsi donc perdu tout éclat. Les feux de sa jeunesse se sont éteints, détruits par la tyrannie de son époux Joss Merlyn, un homme séduisant devenu en un rien de temps un rustre effroyable, ivrogne et brutal. 

R (3)L’écrivaine se frotte ainsi donc toujours à la question du mariage et au rôle de la femme dans cette société. Elle souligne le caractère faible de son sexe incapable selon elle de vivre indépendamment de l’homme. Pour elle, la femme aspire à une liberté toute masculine mais sa position de femme freine inexorablement ses désirs d’évasion. Certains dialogues entre Marie Yellan et le héros ténébreux et ambigu du roman Jem incarnent parfaitement cette vision et ce questionnement :

« Si vous étiez un homme, je vous demanderais de venir avec moi, vous grimperiez sur le siège, vous enfonceriez vos mains dans vos poches et nous resterions ensemble aussi longtemps qu’il vous plairait. (…) vous n’êtes pas un homme. Vous n’êtes qu’une femme, ainsi si comme vous l’apprendriez à vos dépens si vous veniez avec moi.”

Rappelons-que Daphné du Maurier elle-même s’était résignée à un mariage de convenance et que comme ses héroïnes de papier elle subissait elle aussi les conventions de sa propre époque, malgré sa soif d’indépendance et son caractère bien trempé ! Pour plus d’informations sur ce sujet, je ne peux que vous encourager à lire Manderley Forever, la magnifique biographie romancée de Tatiana de Rosnay (ma critique ici).

Pour conclure, j’ai adoré ce roman sombre et inquiétant, un énorme coup de cœur que j’avais découvert pour la toute première fois il y a une quinzaine d’années et dont je gardais un souvenir impérissable. Daphne du Maurier nous embarque dans une aventure maritime haletante nous contant l’Histoire terrible des naufrageurs, ses assassins de grands chemins, sans foi ni loi, qui attiraient des navires sur le rivage pour les laisser se fracasser contre les récifs. Lorsque ces bateaux étaient enfin à terre, ils mettaient en place des expéditions diaboliques pour piller et éliminer tout survivant. Attirés par des feux illusoires comme des papillons de nuit à la lueur d’une bougie, les victimes se retrouvaient prises au piège.

En bref : de la grande littérature comme on l’aime avec en prime une belle romance gothique bien satisfaisante (on est jamais loin de l’atmosphère envoûtante des Hauts de Hurlevent)! On frémit d’horreur aux côtés de notre héroïne, on tremble pour elle et on achève la lecture dans un soupir de contentement, en se disant que, tout de même, on a tenu entre nos mains, un sacré bon bouquin !

Un dernier mot sur les origines de L’auberge de la Jamaïque : Daphne du Maurier s’est inspirée d’un endroit réel du même nom, situé dans le sud-ouest de l’Angleterre qui est encore aujourd’hui réputé… hanté ! De nombreux touristes y séjournent chaque année pour se donner quelques frissons, un musée est même consacré à l’écrivaine. J’y suis allée il y a quelques années pour rêver, je n’ai pas été déçue. Ce lieu plein de charme est une excursion incontournable en Cornouailles. Je vous invite à découvrir le site internet de l’hôtel qui regorge d’informations croustillantes sur l’oeuvre de Du Maurier ainsi si que sur les origines de l’auberge : https://www.jamaicainn.co.uk/daphne-du-maurier

Et la bande-annonce de la version télévisée de 2015 de Jamaïca Inn qu’il me tarde de voir (elle a l’air tout de même prometteuse) avec la belle actrice de Downtown Abbey, Jessica Brown Findlay qui incarnait merveilleusement la douce Sybil Crawley. Je vous en parlerai dans un prochain billet …

Nouvelle participation au Mois Halloween en partenariat avec Le Challenge Cottagecore !

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Cet article a été publié dans Challenge Cottagecore, Challenge Halloween, Chronique diabolique 2021, Classique britannique, Littérature anglaise, Pumpkin Autumn challenge, Roman d'aventure, roman gothique. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

18 commentaires pour L’auberge de la Jamaïque

  1. Oh oui un autre grand souvenir de lecture de Miss Du Maurier !! 🙂 Heureuse que tu aies autant aimé !

  2. Hilde dit :

    J’aimerais bien découvrir cette auberge! L’histoire semble captivante. Je n’ai encore rien lu de Daphné du Maurier. Peut-être un jour ! 😉

  3. alexmotamots dit :

    Je m’attendais à un roman comme Rebecca, j’avais été douchée.

  4. Catherine dit :

    Je l’ai lu il y a plusieurs annees maintenant et je me rends compte qu’il me faudrait relire ces romans parce qu’a l’epoque mon niveau d’anglais n’etait sans doute pas assez bon pour apprecier toutes les subtilites. J’aime tellement Du Maurier. Merci de me redonner envie de le lire!
    Pour la serie, je ne l’ai pas vue mais je me souviens que tout le monde s’etait plaint ici a l’epoque car il semblait y avoir un probleme de son (on entendait mal) et les accents cornouaillais etaient difficiles a comprendre par les anglais alors je n’ai meme pas essaye de la regarder haha!

    • missycornish dit :

      Ah moi c’est aussi une relecture et je ne m’en lasse pas. Effectivement les dialogues dans la série ne sont pas toujours « audibles « . J’ai dû moi-même mettre les sous-titres en anglais mais elle vaut le coup. La photographie est magnifique .

  5. Chicky Poo dit :

    Quel billet ! Il faudrait vraiment que j’essaye de lire Daphne Du Maurier, je crois que je passe à côté de quelque chose !!

  6. Steven dit :

    J’ai Rebecca dans ma PAL de cette auteure mais je t’avoue que tu m’as convaincu. Je pense explorer chaque œuvre qui compose sa bibliographie tant chacune d’elle semble prometteuse et accrochante.

  7. Ju dit :

    Super article, belle découverte pour ma part 🙂 hésites pas à venir faire un tour sur mon site Intel-blog.fr et à t’abonner si ça te plaît 🙂

  8. rachel dit :

    Tu parles de l’adaptation de « ma cousine rachel » avec Rachel Weisz ?….
    En tout cas a chaque halloween j’entends parler de cette auberge…et toujours en bien…vraiment il va falloir que je le lise…ouiiiii

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