La geisha et le joueur de banjo de Jérôme Hallier

9782290201107Kyoto, début du XXème siècle. 

O-miya, une jeune geisha ravissante aux talents musicaux exceptionnels, vit confinée depuis son enfance dans une maison de thé. Lorsqu’elle se voit confier une mission inattendue et insolite, celle de jouer de son shamisen en Europe durant l’Exposition Universelle à Paris, la jeune femme voit enfin une issue à sa condition de captive. Accompagnée d’une délégation de timides geishas et surveillée de près par un général japonais inflexible, O-miya embarque pourtant à sa grande surprise sur un grand paquebot. Cette traversée merveilleuse lui donnera goût à la liberté et lui fera entrevoir un monde aux antipodes de sa culture traditionnelle. 

Au même moment, de l’autre côté du globe, dans les Appalaches, un ancien casseur de pierres, Tommy, délaisse ses amis tout comme son travail pour embrasser sa passion dévorante pour le banjo. Après de multiples rencontres inoubliables qui l’aideront à peaufiner et perfectionner sa technique musicale, le jeune homme posera lui aussi ses bagages à Paris. 

Enfin, un étrange et mystérieux olibrius, muni de son phonographe flambant neuf, parcourt pendant ce temps les allées de l’Exposition Universelle avec une seule et unique obsession, celle d’enregistrer toutes les musiques du monde afin de les rendre éternelles …

Ces trois étranges personnages, à première vue diamétralement opposés vont donc croiser leurs routes, attirés par leur intérêt commun : leur amour de la musique !

Comme j’ai aimé cette lecture insolite qui m’a transportée dans un univers extraordinaire et emprunt de poésie où les instruments possèdent d’étranges pouvoirs capables d’envoûter à la fois leurs propriétaires tout comme ceux qui les écoutent ! Le shamisen d’O-miya, surnommé Mille larmes, semble enchanté car un étrange luthier l’a confectionné expressément pour elle sans vouloir lui dévoiler la provenance de la peau de l’instrument… Une inquiétante malédiction plane ainsi sur celui qui aurait le malheur de le détenir en sa possession. Quant au banjo de Tommy, il a également sa propre identité. Le jeune musicien l’a nommé affectueusement Etoile du Nord en référence à ses origines. Le lien presque magique qui lie chaque musicien à son instrument est une trouvaille tout simplement géniale de l’écrivain et s’intègre parfaitement bien dans le récit.

Si ce roman étonnamment riche, malgré sa petite épaisseur (à peine 220 pages) serait le tout premier roman de l’auteur, il n’en reste pas moins très prometteur. Ce romancier caennais, un grand amoureux de la culture nippone ayant vécu cinq ans au Japon, maîtrise à la perfection l’art de l’ellipse. Il réussit, en outre, à alterner trois univers bien distincts d’une page à l’autre, sans pour autant perdre le fil de son intrigue. L’attention du lecteur est, de ce fait, ferrée dès les premières lignes. L’écriture est d’ailleurs particulièrement fluide. 

6580c98a55bbba89e7b7f1ca54d36f81L’originalité de ce récit réside également dans la description de ses personnages qui ne sont finalement que des esquisses, comme des aquarelles aux contours flous et insaisissables. Ils ne sont au fond qu’un prétexte d’écriture pour mettre en lumière une époque époustouflante, celle des années 1900 et de la grande Exposition Universelle de Paris (la cinquième officiellement mais l’une des plus marquantes de l’Histoire française) et l’événement de ce siècle. Le lecteur découvre avec émerveillement cette période mémorable de notre patrimoine français, on y entrevoit au passage la première installation d’un trottoir roulant mécanique pour permettre aux visiteurs (comme à Disney !) de se déplacer plus rapidement, ou bien encore la création d’un gigantesque Globe Céleste (“l’attraction des astronautes de fauteuils”…). 

Cette attraction vulgarisée sera malheureusement le théâtre d’un drame funeste… Une semaine après l’ouverture de l’exposition universelle inaugurée par le président de la République Emile Loubet, la passerelle (à soixante mètres de hauteur) menant au globe, s’effondre en entraînant dans sa chute de nombreuses personnes. Cinq visiteurs périssent dans l’accident mettant fin pour de bon à cette prouesse technique digne d’une invention futuriste steampunk. Les inventeurs n’auraient d’ailleurs jamais été rémunérés en contrepartie pour le travail titanesque fourni…

Le romancier relate donc avec panache à travers les destins entrecroisés de ses personnages, ce fait divers glaçant.

Si le parcours de chaque protagoniste m’a captivée, je dois avouer avoir préféré celui d’O-miya. J’ai toujours été fascinée par l’univers des geishas, ces créatures mystérieuses et inaccessibles que l’on prend souvent pour des courtisanes. Leur place dans la société japonaise demeure encore confuse dans  le regard occidental. 

Certes, les geishas nourrissent aussi à leur façon les fantasmes masculins, toutefois, elles sont avant tout des femmes vénérées et respectées. O-miya est par ailleurs soumise à une éducation extrêmement rigide et ne peut être abordée avec familiarité. 

Lorsque la jeune héroïne se frotte à la culture occidentale durant son séjour en France, son horizon s’élargit, elle découvre au passage le monde scandaleux et émancipé des actrices. A la différence des geishas qui se doivent de rester discrètes, leur visage demeurant toujours impassible sans qu’aucune émotion ne puisse transparaître même lorsqu’elles dansent, les actrices ont la possibilité d’exprimer une large palette de sentiments… Cet aspect du livre est aussi très intéressant car il juxtapose avec finesse deux cultures aux codes bien dissemblables. 

En bref : pour conclure cette lecture originale, une balade musicale merveilleuse mêlant habilement un univers poétique japonisant et un décor à la Jules Verne étonnant, fut une très belle découverte. Cet étrange conte sur les rendez-vous amoureux manqués est un vrai coup de cœur et une introduction parfaite pour débuter le challenge Un mois au Japon

Et pour découvrir en images l’Exposition Universelle de 1900, je vous invite à visionner cette courte vidéo qui nous entraîne dans les faubourgs parisiens de la Belle-Epoque :  
 
 
Première contribution au challenge Un mois au Japon
 
un-mois-au-japon-2020
 
 

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21 commentaires pour La geisha et le joueur de banjo de Jérôme Hallier

  1. Hilde dit :

    L’univers des geishas est tellement mystérieux ! Je suis intriguée par ton roman. Je note.

    • missycornish dit :

      Ah Hilde je suis complètement passionnée par cet univers. Je trouve qu’il est en effet fascinant et tellement éloigné de notre culture. Je suis en train de lire un très beau roman graphique sur ce sujet. J’espère que ce roman te plaira aussi.

  2. En effet, ça semble très original, noté 🙂

  3. myloubook dit :

    Je ne connais pas du tout mais tu donnes vraiment envie de le découvrir ! Merci :o) Bonne soirée !

  4. Chicky Poo dit :

    J’avoue que je ne suis pas super tentée, c’est loin d’être mon genre de lecture et j’ai peur de m’ennuyer un peu ^^ En ce moment j’ai envie d’autre chose, mais qui sait, peut-être qu’un jour je changerai d’avis !
    Et puis, j’avoue que… les couleurs de la couverture… Ça pique un peu les yeux ! Je sais, je sais, il ne faut pas juger un livre à sa couverture ! 😉

    • missycornish dit :

      Ha je suis entièrement d’accord la couverture ne rend pas du tout justice au roman et pourtant je l’ai beaucoup aimé. Elle fait cheap alors l’écriture est superbe et l’histoire très originale. Qu’est-ce que tu lis en ce moment ? Quel est ton thème du moment ?

  5. cela me donne vraiment envie de le découvrir!

  6. rachel dit :

    Oh oui toute une aventure musicale qui semble passionnante…..vraiment interessante !

  7. Bidib dit :

    ça a l’air super sympa. Je note

  8. Marjorie de Bazouges dit :

    Superbe article ! J’ai vraiment très envie de le lire. En tant que musicienne cela chante à mon oreille…

  9. maggie dit :

    A chaque fois que je lis des romans où il est question de musique ( même de loin), je m’ennuie… je passe pour cette fois ( la couverture est magnifique :-))

On papote?