Des jours et des vies de Gill Paul

                          

Des-jours-et-des-viesAnnées 2000: Kitty Fisher, une jeune Anglaise trentenaire un peu paumée, prend la décision de se réfugier aux Etats-Unis pour apaiser sa peine de coeur après avoir découvert l’infidélité de son époux. Elle s’installe dans un chalet vétuste sur les rives du lac Akan Abee (État de New-York) pour pouvoir le rénover. Cette vieille bicoque aurait en effet appartenu à son arrière-grand-père, écrivain renommé. Alors que les travaux battent leur plein, Kitty découvre dans le bâtiment un bijou splendide qui lui révélera un secret étonnant sur les origines de sa famille, et l’aidera peut-être à faire le point sur sa propre vie.

Année 1914 : les empires russes et allemands sont en guerre et un renversement du gouvernement semble imminent. Tandis que les membres de la famille Romanov s’apprêtent à vivre leurs derniers instants de gloire, la grande-duchesse Tatiana, encore insouciante et infirmière volontaire auprès des blessés, tombe éperdument amoureuse de Dimitri, un jeune officier de cavalerie. Mais le futur qui les attend n’est nullement en leur faveur. L’amour qui les lie résistera-t-il aux épreuves du temps et à la terrible malédiction des Romanov qui plane sur eux?

Prise récemment d’une frénésie de lecture, je n’ai pas cessé de fouiller dans ma bibliothèque en quête de nouveaux trésors littéraires. C’est en furetant dans ma pile de livres que je suis tombée sur cette bonne pioche, un roman historique sur des secrets de famille comme je les affectionne, pour entremêler constamment le passé et le présent. J’ai enfin compris pourquoi ce livre prenait la poussière sur mes étagères depuis près de trois ans, le titre en effet y était pour quelque chose ; Des jours et des vies me faisait penser à ce feuilleton américain aux accents de Barbara Cartland, extrêmement niais. Il est incompréhensible que l’éditeur ait choisi un tel titre devenu aujourd’hui un cliché, alors que The secret wife (L’épouse secrète), convenait pourtant parfaitement bien. Pourquoi les éditions Charleston n’ont-elles pas conservé la traduction originale? Cela dessert à mon sens l’œuvre de Gill Paul. Un choix hasardeux !

Ce livre aurait en effet mérité une meilleure communication car sa thématique n’est pas dénuée d’intérêt, relatant avec brio la tragédie effroyable de la famille des Romanov, un sujet glaçant bien que fascinant. Gill Paul se focalise plus particulièrement sur la destinée de l’une des filles du Tsar, la ravissante Tatiana Nikolaïevna, qui tout comme sa sœur cadette Anastasia, nourrit encore aujourd’hui de nombreux fantasmes. Auraient-elles toutes deux réussi à échapper à la fin tragique des Romanov?

Famille Romanov

La famille impériale russe (cliché de 1913)

L’auteur a donc choisi d’imaginer les zones d’ombres liées à cet événement en reconstituant une correspondance clandestine imaginaire entre l’officier de cavalerie Dimitri et Tatiana, la fille du dernier Tsar Nicolas II.

A travers cette fiction romanesque plutôt réussie, le lecteur découvre les coulisses de la vie de la famille impériale russe à la veille de la Révolution de février 1917 (qui mènera à l’abdication du Tsar et à la chute de la dynastie impériale russe) et de celle d’octobre 1917 (qui renversera pour de bon le régime tsariste de Russie et annoncera la prise de pouvoir officielle des bolcheviks). L’existence de cette famille royale était somme toute paisible et d’une naïveté déconcertante. Le tsar lui-même était finalement peu en phase avec la réalité, c’est-à-dire l’insatisfaction grandissante d’un peuple russe affamé et désespéré par les défaites subies depuis 1914. Pieux et pour le moins crédule, Nicolas II n’avait ni l’étoffe d’un combattant et encore moins celle d’un grand dirigeant, naviguant ainsi avec difficulté dans les eaux troubles de la diplomatie. A la veille de l’insurrection, le clan des Romanov pensait échapper aux rebelles pour se réfugier en Angleterre mais, hélas, aucune aide diplomatique ne leur sera réellement fournie. Abandonnés de tous, les Romanov périrent sous les balles et les baïonnettes des soldats russes.

Si j’ai été happée par la dimension historique du récit, je dois cependant avouer avoir trouvé l’histoire moderne un tantinet bancale et peu intéressante en comparaison de la trame principale. Il semble qu’elle ne soit finalement qu’un simple prétexte pour introduire le fameux journal intime de Tatiana qui révélera peu à peu l’horreur et la déchéance de cette lignée maudite.  Le personnage de Dimitri, protagoniste hautement romantique mais acteur impuissant de ce drame, est très attachant. Néanmoins, j’ai moyennement apprécié son évolution dans la seconde partie du livre. Parfois trop indécis et tiraillé entre son attirance charnelle pour son épouse et l’amour indéfectible qu’il ressent pour la belle Tatiana, Dimitri choisit la facilité en commettant l’adultère, une tromperie qui durera de nombreuses années sans véritablement perturber notre “héros” masculin…

La partie consacrée aussi à la fuite de Dimitri en Allemagne après la rébellion russe m’a par ailleurs parfois peu convaincue. La romancière fait renaître un Berlin fantasmé en survolant au passage les années glorieuses de la comédie burlesque très inspirée de Cabaret. On y découvre une culture allemande prônant davantage l’amour libre et insouciant, une vision très moderne qui désarçonne le héros Dimitri car elle diffère grandement des coutumes russes. Ce passage semble simplement permettre l’introduction d’un nouveau personnage féminin.

Tatiana_Nikolaevna

Tatiana Nikolaïevna (1897-1918)

Enfin, l’héroïne Tatiana manque cruellement de profondeur, demeurant d’un bout à l’autre du roman une figure éthérée insaisissable et mystérieuse comme si elle appartenait presque au domaine du songe, ce qui ne permet pas de réellement s’attacher à sa personnalité.

Un dernier mot sur Raspoutine qui aurait porté le coup de grâce au Romanov en ternissant un peu plus leur réputation et en précipitant la chute de cette dynastie déjà moribonde : J’aurais aimé en apprendre davantage sur le personnage de Raspoutine, cet ange déchu que l’on prénommait avec effroi “le moine fou” et qui fut assassiné en 1916 par des aristocrates russes. Le livre effleure à peine sa responsabilité dans l’affaire alors que le personnage est pourtant toujours présent en filigrane dans la correspondance de Tatiana et de Dimitri. A ma grande surprise, j’ai découvert que Raspoutine n’était ni vieux ni sénile comme il était souvent portraituré par l’imaginaire collectif mais au contraire, jeune, séduisant et décadent. Cette réalité saisissante de ce mystérieux intrigant s’écarte totalement de la vision grotesque et caricaturale dépeinte par les studios Fox animation dans le célèbre dessin-animé Anastasia. Raspoutine, un paysan russe aux pouvoirs mystiques supposés était cependant bel et bien perçu par le peuple russe comme l’antéchrist, un démon incarné. La chanson de Boney M, Rasputin, (à écouter ici) est ironiquement proche de la réalité. Subjuguée par son charme ensorcelant et ses fameux dons de guérison, la tsarine Alexandra Fedorovna se serait entichée de lui et en aurait fait son amant (même si cette rumeur est encore réfutée officiellement aujourd’hui)… Une correspondance plutôt compromettante entre eux aurait été détruite avant la disparition de la lignée Romanov pour ne pas attiser davantage la haine du peuple et des nobles qui voyaient son influence d’un mauvais œil. Raspoutine aurait ainsi profité de la timidité maladive de l’impératrice pour s’immiscer dans les affaires du palais. Il devint également le guérisseur officiel de la famille. Il aurait d’ailleurs réussi à soigner son fils, Alexis, qui souffrait d’hémophilie, une maladie dégénérative génétique souvent renforcée par la consanguinité. (Le roman de Raspoutine de Vladimir Fédorovski me tente grandement pour approfondir ce sujet)… 

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J’aurais aussi voulu en savoir plus sur cette fameuse Alexandra Feodorovna, la dernière impératrice de Russie, mère de Tatiana et petite-fille favorite de la reine Victoria. Son personnage aurait été bien plus intéressant à traiter car il demeure encore aujourd’hui assez complexe. Qui était-elle vraiment?

Pour conclure, en dépit de quelques invraisemblances,cette lecture fut tout de même très enrichissante et passionnante. Même si l’on connaît d’emblée le dénouement tragique de cette histoire désespérante, le récit est malgré tout bouleversant et quand bien même l’auteur tisse une fiction parfois un brin trop fantasmée, le lecteur se laisse prendre au jeu malgré lui.

Mon souvenir le plus marquant de ce roman reste la captivité des Romanov qui est effroyable car l’on sait pertinemment bien qu’ils ne seront jamais libérés. J’en avais les larmes aux yeux. Ce passage m’a retourné l’estomac.

J’ai désormais très envie de visionner dans la foulée le film Rasputin dark servant of destiny de 1996 quand j’aurais réussi à mettre la main dessus. Ce biopic très controversé est apparemment brillant. Alan Rickman y interprète un personnage infâme, noceur, alcoolique et diabolique néanmoins séduisant. Pour ma part, le regard fou presque habité de ce grand acteur m’a convaincue après avoir visionné cette bande-annonce épique :

Je compte aussi revoir Anastasia, ce magnifique dessin-animé sorti en 1997 et qui a bercé mon enfance. 

Cet article a été publié dans Littérature anglaise, roman historique. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

34 commentaires pour Des jours et des vies de Gill Paul

  1. J’adore cette période et l’histoire des Romanov, la légende, la tragédie, les interrogations… Je note, on ne sait jamais ! Et merci pour Boney M 😉 (on ne dit jamais non à un peu de disco ^_^) Bon courage pour le rentrée, Missycornish ! bise

  2. Chicky Poo dit :

    C’est vrai qu’effectivement le titre ne donne pas tellement envie, alors que son titre original mieux traduit aurait sûrement produit plus d’effet. En tous cas, je suis toujours aussi fascinée par tes critiques hyper fouillées et passionnantes ! Et tu me donnes envie, du coup je le note de ce pas 🙂 Et je réalise à la fin de ton billet que la chanson « Once upon a december » que j’adore vient d’un Disney (oups, jamais vu !)(re-oups,suis pas fan de Disney !).

    • missycornish dit :

      Merci Chickypoo pour ton super retour! 😊 ça me booste toujours à continuer le blog malgré tout. Anastasia est un très film d’animation. Il a été racheté par Disney récemment mais initialement c’était Fox animation. En tout cas c’est une merveille par contre si tu le regarder prends des mouchoirs. Certaines scènes sont déchirantes.

  3. rachel dit :

    Oui il y a des livres trop romanesques chez Cahrleston…pas trop ma tasse de the…;)
    Je me souviens du dessin anime….que j’avais bien aime mais trouve qu’il etait assez dur pour des enfants….le passage en enfer est fort didonc…;)

    • missycornish dit :

      Oui c’est vrai. J’ai montré le début du dessin-animé à ma petite fille mais j’ai changé, je travais que c’était trop dur et terrifiant pour un tout-petit. J’aime beaucoup les sagas Charleston et en particulier si c’est romanesque mais je n’aime pas les histoires mièvres. Celle-ci est à la limite…

      • rachel dit :

        Bin lala je viens de terminer la passeuse d’histoires…cela n’a pas passe pour moi….mais j’ai vraiment aime les veuves de Malabar Hill….;)

        • missycornish dit :

          Ah j’ai La passeuse d’histoires dans ma Pal mais pour l’instant, je ne suis pas motivée pour le lire. Si tu n’est pas enthousiaste non plus, je pense que je vais passer mon tour.

          • rachel dit :

            Bin cela pourrait te plaire…mais je n’ai vu aucune originalite et des passages qui se repetaient, repetaient….bref j’ai vraiment soupire en lisant…je l’ai quand meme fini en esperant le passage qui allait tout changer..bin non….tout etait evident sans surprise….mais bon cela pourrait te plaire….il est bien cote sur le Oueb…lol

  4. dlcb26 dit :

    CC c’est le livre que tu nous avais présenté au bookclub durant le mois « saga familiale » ?! Ton article est très sympa et se veut très complet. Merci. Petits compléments :
    -le film Cabaret se passe dans les années 1930, avant la Seconde Guerre mondiale, il démarre avant leur arrivée au pouvoir en janvier 1933 et se termine vers 1935;
    -Raspoutine est mort assassiné en décembre 1916 par un complot de nobles russes, les agissements de Raspoutine ont effectivement attiré la colère des nobles et de la population sur les Romanov mais l’empire russe était déjà moribond, ça a été un des accélérateurs vers la chute, le coup final étant la Première Guerre mondiale et tout ce qu’elle a entraîné;
    -avant la révolution d’octobre 1917 il y a eu celle de Février 1917 qui est celle qui a entraîné l’abdication de Nicolas II et la fin de l’empire russe;
    -l’hémophilie est bien une maladie génétique; la consanguinité renforce le risque d’en hériter, sans forcément en être la cause. c’est une mutation génétique

    • missycornish dit :

      Merci pour ces compléments! Je ne suis pas assez calée en Histoire et je me suis permise de reprendre ces précisions dans mon billet afin de corriger les erreurs. Par contre, je n’ai pas bien compris la différence entre les deux révoltes.

    • missycornish dit :

      J’ai effectué les modifications, j’espère que je ne me suis pas trompée. Ce roman est vraiment pas mal du tout. Si tu as l’occasion de le lire, j’aimerais connaître ton avis. Oui c’était mon choix de saga familiale. J’avais besoin de digérer la lecture pour en parler. Finalement, c’était assez dense. Merci pour ton aide, je suis contente de te lire ici!

  5. Steven dit :

    Adorateur des romans qui traitent de la survie d’une des sœurs, je suis certain que ce roman ne peut que me plaire. D’autant plus que cette fois-ci il ne s’agit pas d’Anastasia.

    Merci pour la découverte !

    PS : Je te recommande La Maison aux Intentions Particulières de John Boyne qui a été un véritable coup de coeur.

    La Maison des Intentions Particulières de John Boyne

    • missycornish dit :

      Oh ça a l’air bien!!! Je vais de ce pas le commander. J’avoue je suis passionnée par ce pan de l’Histoire. Quelle tragédie!

      • Steven dit :

        Désolé pour ton porte-monnaie – ou pas – mais c’est cadeau :

        https://mavenlitterae.wordpress.com/?s=romanov

        • missycornish dit :

          Oh mais que vois-je des suggestions alléchantes pour compléter ma lecture! Je ne connaissais pas du tout la biographie sur les Romanov. Je vais évidemment la lire aussi. Je suis accro ça y est c’est fichu! As-tu vu la série documentaire sur Netflix qui est sortie je crois l’année dernière?

          • Steven dit :

            Alors c’est drôle mais c’est ce merveilleux documentaire qui m’a donné envie de trouver quelques œuvres dédiées à la vie des Tsars.

            Entre cette série et le film d’animation que j’adore depuis tout petit, c’était foutu d’avance pour moi 🙂

            • missycornish dit :

              Ah j’ai hésité à visionner le documentaire Netflix, je trouvais le concept un peu spécial mais du coup tu as piqué ma curiosité. J’aimerais en savoir davantage sur la famille et le rôle qu’a vraiment joué Raspoutine dans sa chute. Je n’ai pas encore saisis toute l’histoire.

            • Steven dit :

              En réalité Raspoutine est avant tout le confident et guérisseur de la famille impériale. Au vu de la société plus que sectaire, cet homme était mal vu par la population. Ce qui n’a pas arrangé la descente au enfer de notre Tsar.

            • missycornish dit :

              Oui c’était un drôle de rôle tout de même. Il est curieux que la famille impériale ait fait confiance à ce charlatan.

            • Steven dit :

              Charlatan, je ne sais pas car il serait parvenu à calmer les crises du jeune tsar en devenir.

            • missycornish dit :

              J’ai lu un fait intéressant à ce sujet. Apparemment c’est le premier guérisseur à avoir réalisé que l’aspirine était mauvais pour le petit garçon Alexis à cause de son hémophilie. Il était intelligent en tout cas.

            • Steven dit :

              Beaucoup trop je pense car en dépit de ses talents de guérisseur, je pense qu’il était aussi très bon influenceur.

            • missycornish dit :

              Par contre je n’ai jamais vraiment compris quel était son but dans tout ça? Qu’est-ce qu’il en retirait exactement? Je sais qu’il était avide de pouvoir.

  6. Milly dit :

    J’ai noté ce titre chez Mya’s book dernièrement. Je crois que je vais aimer. 🙂

  7. Marjorie de Bazouges dit :

    Encore un très bel article, très intéressant. Envie de lire le livre et de voir le film. Je n’aurai jamais assez d’une vie pour tout voir et tout lire 🙄😉

On papote?