Baronne Blixen de Dominique de Saint Pern

Il y a quelques semaines, j’ai revu avec nostalgie le film Out of Africa, un long métrage magnifique aux paysages grandioses qui m’a émerveillée autant qu’il m’a passionnée. Il m’a donné l’envie de me replonger dans des lectures consacrées à l’Afrique coloniale pour explorer un peu plus cette période toute particulière et si controversée de l’Histoire. J’avais conscience que la trame du film avait été quelque peu magnifiée pour séduire le public qui se nourrissait à l’époque de récits de voyages exotiques édulcorés. Mais j’étais néanmoins loin de me douter que cette vision romantique fantasmée de l’Afrique s’écartait autant de la réalité … 

Dominique de Saint Pern nous dévoile ici la face cachée de l’autrice de La ferme africaine, les coulisses de l’oeuvre de Karen Blixen, de sa jeunesse dorée, ses amours contrariées au Kenya avec son époux infidèle le Baron Bror Fredrik Von Blixen, son amant Denys Finch Hatton, jusqu’à son retour au Danemark où, démunie, elle se réinventera en écrivant ses fameux Contes gothiques qui l’élèvent au statut d’auteure renommée du XXème siècle. Un tel programme paraissait donc alléchant. La promesse d’une mise en abîme passionnante dans l’univers de cette romancière aventurière si complexe aurait dû m’enchanter… Or il n’en est rien, cette lecture s’est finalement révélée assez décevante. Le livre m’est littéralement tombé des mains et ce, à plusieurs reprises. Impossible de m’attacher à cette femme certes bien talentueuse, mais à la personnalité fort antipathique. 

Il vaut parfois mieux s’en tenir à la fiction et occulter la réalité pour faire perdurer le rêve. Pourquoi publier une telle biographie, même romancée? Quel intérêt de dévoiler la vérité? Etait-ce vraiment nécessaire de découvrir une telle femme? D’autant plus que ce document fiction n’apporte pas un éclairage inédit sur l’auteure. Certains passages et en particulier dans la première partie du livre semblent ainsi trop calqués sur le film Out of Africa. Mieux vaut dès lors revoir l’adaptation cinématographique de Sydney Pollack, d’une qualité artistique nettement supérieure, et oublier cette tentative de biographie ratée.  

Le récit manque également d’authenticité car il est censé être relaté par la secrétaire de Blixen, Clara Svendsen. Cette dernière est sollicitée par l’actrice Meryl Streep qui s’apprête à tourner au Kenya l’adaptation du livre La ferme africaine. La jeune comédienne a en effet du mal à saisir le caractère complexe de la Baronne et espère en savoir un peu plus sur elle en s’entretenant avec sa confidente et son amie la plus intime, celle qui est restée à ses côtés jusqu’à son dernier souffle. Cette secretaire, devenue au fil des années son esclave consentante, l’épaulera dans ses écrits et ne sera en contrepartie jamais rémunérée par Karen Blixen pour ses services ! 

Si la secrétaire est chargée de restituer fidélement l’histoire de la baronne, on apprend au fil de la lecture qu’elle n’a en vérité jamais mis les pieds en Afrique ! Elle base donc son témoignage sur des souvenirs que lui auraient racontés Karen Blixen… J’ai trouvé ce choix d’écriture un peu saugrenu car il crée encore plus une distanciation entre le lecteur et l’héroïne du roman dont les traits de personnalités sont par ailleurs floutés. 

En somme, cette lecture laborieuse m’a laissée un arrière- goût amer. 

Le visage de Meryl Streep a finalement embelli et modifié la réalité assez décadente du personnage originel. Karen Blixen n’était en effet pas une femme attachante. Elle était certes une survivante, sorte d’Amazone guerrière faisant parfois preuve d’une certaine bravoure, mais sa personnalité n’était nullement généreuse. Ainsi, le lecteur découvre avec effroi le véritable tempérament de l’écrivaine. A son arrivée en Afrique, Karen Blixen que l’on a longtemps dépeinte comme une chasseresse intrépide, a participé au massacre de plus d’une quarantaine d’animaux de la faune africaine à elle seule et pour son bon plaisir. La jeune femme alors fraîchement débarquée s’est ainsi donc adonnée à la chasse pour tromper son ennui… Certes, cette pratique était coutumière de l’époque, toutefois, elle ne peut que choquer le lecteur contemporain qui connaît désormais les conséquences désastreuses qu’ont entraînées ce loisir aujourd’hui. Quelle tristesse de savoir qu’elle a contribué volontairement à la disparition de ces animaux (lions, éléphants, cheetahs et autres). 

Le mythe romantique de la ferme africaine prend donc du plomb dans l’aile. Karen Blixen était par ailleurs une femme assez volage, elle était aussi une piètre fermière qui fera pérécliter sa fameuse fabrique de café au Kenya, par démesure et entêtement. Délaissée par un époux qui lui préfère les peaux d’ébène à la blancheur maladive de sa carnation tout comme les formes voluptueuses à sa silhouette chétive, Karen Blixen demeurera une figure solitaire. Son mariage aboutira malheureusement à un échec et lui laissera une blessure cuisante, l’empreinte des nombreuses infidélités de son époux volage: la syphilis, une maladie vénérienne qui l’accable tout au long de sa vie. Son amant Denys, qui inspirera le personnage séduisant fictif incarné par Robert Redford, l’abandonnera à son tour pour une femme plus jeune et plus saine de corps… Lorsque son avion s’écrase, l’aristocrate anglais a déjà tourné la page, il s’est épris d’une autre femme, Beryl Markham… 

Karen Blixen aux côtés de son amant Denys Finch Hatton en 1922 au Kenya

Capricieuse et colérique, Karen Blixen fera également vivre un enfer à son entourage et en particulier à son personnel lorsqu’elle se consacre à l’écriture au Danemark. Aussi sournoise qu’une mante religieuse, elle prend un malin plaisir à s’immiscer dans la vie de ses amis, brisant selon ses caprices leur mariage. Ainsi, la romancière danoise auréolée de succès en Europe tout comme en Amérique, se prend d’affection à son retour d’Afrique pour un jeune poète au talent prometteur, Thorkild. Karen Blixen tente tout pour éloigner le jeune homme de son épouse et de son petit garçon, le façonnant à sa guise comme un vulgaire pantin. Son épouse malheureusement tentera de mettre fin à ses jours de chagrin. 

En outre, Karen Blixen se révèle être, à l’instar de la Marquise de Merteuil qu’elle admire sans rougir, une grande manipulatrice, à la fois glaçante et redoutable. Cet aspect de sa personnalité est tout aussi déroutant. Elle terminera sa vie anorexique, éprouvant un plaisir jouissif mais profondément malsain à observer les autres manger, une manière pour elle de se sustenter par procuration. Cette femme aux allures de sorcière rachitique aime par ailleurs se grimer pour mieux déconcerter son entourage prenant volontiers les traits d’un pierrot décharné en accentuant un peu plus la lividité de son visage … 

Karen Blixen, romancière danoise (1885-1962 )

Au fond, cette écrivaine pleine de ressentiement était une énigme, un monstre sacré de la littérature du XXème siècle certes, mais aussi une figure monstrueuse tout court. Elle est indéniablement fascinante, cependant sa personnalité extravagante et tordue m’a mise profondément mal à l’aise. 

En tentant de rescussiter cette « diablesse » comme la romancière danoise aimait elle-même se décrire, Dominique de Saint Pern égratigne malheureusement à mon sens son image qui au final n’est pas des plus glorieuse…

Certaines anecdotes m’ont d’ailleurs laissée assez songeuse : où est l’intérêt de savoir que le véritable Denys avait le crâne dégarni, qu’il dissimulait, complexé, cette calvitie précoce sous des grands chapeaux ?  La crinière blonde de Robert Redford était de ce fait peu réaliste… (mince alors!) Leur relation était aussi davantage platonique et intellectuelle que physique. On est donc loin d’une passion torride suggérée dans Out of Africa… Une sacrée douche froide pour les fans inconditionnels du film !

En bref: ces bribes de souvenirs un peu épars et plutôt chaotiques se sont révélées parfois un brin indigestes. On s’y perd dans ce dédale de personnages. Les protagonistes sont ici à peine esquissés. Le livre s’adresse donc à un lectorat averti qui connaît déjà l’univers de Karen Blixen. Pour ma part, je me suis fait violence pour le terminer. Certains passages consacrés à l’Afrique étaient bien trop anecdotiques à mon goût pour véritablement susciter mon intérêt, et la partie dédiée à sa vie au Danemark m’a mortellement ennuyée. Dommage. Je doute de garder un souvenir impérissable de cette lecture… Le portrait de cette femme aux mille facettes s’effritera sans-doute avec le temps, cependant son oeuvre demeurera… N’est-ce pas finalement l’essentiel? 

Je préfère donc revoir Out of Africa, des étoiles plein les yeux et oublier cette déconvenue. 

La bande-annonce du film:

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17 commentaires pour Baronne Blixen de Dominique de Saint Pern

  1. dasola dit :

    Bonsoir Missycornish, j’ai aussi vu le film plusieurs fois sur grand écran. J’avais adoré mais je n’ai rien lu de Karen Blixen. Pas tentée du tout et cette biographie encore moins. Et la photo de l’amant de Karen Blixen, cela ne vaut pas Robert Redford… Bonne fin de soirée.

    • missycornish dit :

      Bonjour Dasola ! Cette biographie n’est pas ma préférée. Je trouve qu’elle ne donne pas vraiment envie de connaître la romancière même si je pense qu’elle se rapproche plus de la réalité. J’ai écris un autre billet sur un autre roman beaucoup plus sympa. Je te laisse le lien, c’est entre la biographie romancée et le roman d’aventure: https://artdelire.org/2021/03/04/laviatrice-de-paula-mclain/ Je pense que cela t’intéressera plus !

  2. Milly dit :

    Pour l’avoir déjà emprunté à la bibliothèque après avoir vu le film, je me souviens avoir été déçu par le récit qui ne ressemblait pas à l’histoire du film. Il me semble .. enfin! 🙂

  3. anne7500 dit :

    Ce livre traîne dans ma PAL suite à un billet beaucoup plus tentant de Dominique (A sauts et à gambades). Le tien est refroidissant ;-)Je pourrai toujours me rabattre sur le film de Sidney Pollack (pas Polanski) que j’adore aussi pour me remonter le moral 😉

    • missycornish dit :

      Le livre est intéressant mais je pense que pour ma part, mon problème est que je n’aime pas trop la dame. Je trouve qu’elle n’est pas très sympathique et pourtant j’ai beaucoup aimé La ferme africaine.

      • missycornish dit :

        Oui il est un peu décevant même si je pense qu’il se calque davantage sur la vrai vie de Karen Blixen. Mieux vaut encore revoir le film et conserver une image fantasmée de cette époque et de cette héroïne. Le livre a mon sens manque cruellement de souffle romanesque.

      • missycornish dit :

        Oui je m’étais trompée je l’ai corrigé. A bientôt ! Si le sujet t’intéresse je viens de poster un billet sur le roman L’aviatrice de Paula Mclain. Je trouve que c’est un bon complément à la biographie fictive de Saint Pern.

  4. rachel dit :

    Oui bon je vais rester a mes souvenirs du film….et du beau Robert Redfort…;)

  5. maggie dit :

    J’avais adoré out of africa et la ferme en Afrique. Je suis déçue de découvrir une autre facette de cette romancière. De toute manière, l’aspect anecdotique me rebute… PS : bonnes vacances

  6. Chicky Poo dit :

    Je n’ai jamais vu Out of Africa, peut-être un jour, mais j’avoue que ça ne me tente pas tellement =/
    Quant à la biographie, en te lisant… je la laisse aussi du coup ^^

    • missycornish dit :

      lol Chicky Poo oui ce n’est pas une super pioche. J’aimerais bien par contre découvrir l’autre amante de Denys Finh, Beryl Markham qui fut une aviatrice de renom. Apparemment c’était aussi une sacrée aventurière !

  7. Marjorie de Bazouges dit :

    Jeune elle était plutôt jolie… Je te trouve plutôt courageuse d’être allée au bout de ce pensum. Comme toi le film continue à me faire rêver… Du coup je ne lirai pas cette biographie 😉

    • missycornish dit :

      Oui c’est bien dommage. Je suis un peu déçue. J’avais une vision un peu romantique du personnage. Tanpis. Je relirai par contre avec plaisir La ferme africaine, peut-être pour le book club…

On papote?