L’aviatrice de Paula Mclain

Après la lecture en demie-teinte de Baronne Blixen, j’étais assez frileuse à l’idée de poursuivre une quelconque incursion dans l’œuvre de l’auteure de La ferme africaine et pourtant, ce roman magnifique, paru presque simultanément avec celui de Dominique de Saint Pern (à un an près !), a eu raison de mes préjugés. Une fois le livre ouvert, impossible de m’en détacher…

On retrouve avec plaisir dans L’aviatrice les mêmes personnages entrevus dans la Baronne, à la différence près que l’oeuvre se focalise ici principalement sur une autre figure féminine populaire contemporaine de Blixen, la célèbre Beryl Markam, qui fut la première pilote a avoir réussi le pari fou de traverser en avion et en solitaire, l’Atlantique d’est en ouest.  Mais également la toute première entraîneuse féminine de courses hippiques dans un milieu à cette époque essentiellement masculin. Un sacré bout de femme !

Le décor est également planté dans le Kenya des années 20, un pays de cocagne sous le protectorat britannique, offrant encore de multiples opportunités d’enrichissement et d’expansion. Beryl Markham débarque à l’âge de deux ans sur ces terres africaines. Les colons affluent pour se lancer dans l’aventure des plantations, entre autres de café. C’est ce que son père tentera lui aussi de faire en entraînant sa famille à l’autre bout du globe mais les conditions spartiates de leur vie ternissent peu à peu les relations avec son épouse qui décide finalement de jeter l’éponge et de retourner en Angleterre avec son fils aîné. La petite Beryl Markham est dès lors abandonnée derrière, à l’âge de quatre ans. Quel crève-cœur ! Livrée à elle-même dans un univers rude et sauvage, elle mène une vie assez solitaire ce qui renforcera un peu plus son caractère indépendant. 

Beryl aura donc une enfance non conventionnelle mais extrêmement enrichissante qui fera d’elle un être à part. Elle n’appartient en effet pas vraiment au milieu anglo-saxon et n’est pas sensible à la culture occidentale. Son éducation, du reste, est plutôt chaotique. Elle ne trouve son équilibre qu’aux côtés de son père, un passionné de chevaux qui lui transmet sa passion, et près de la tribu Kipsigi, qui l’adopte lorsqu’elle se retrouve sans mère. La savane sera donc son aire de jeu préférée. 

Son amour des bêtes et sa philosophie de la vie m’ont par ailleurs profondément touchée. Lorsqu’un jour, petite fille, elle est attaquée par un fauve, un lion domestiqué ayant repris ses instincts sauvages, la jeune Markham n’éprouve aucune haine ni désir revanchard pour l’animal qui a bien failli l’estropier, elle est au contraire saisie d’une profonde tristesse, car la bête a été à ses yeux pervertie par l’homme. Une belle âme en soi. Alors que Karen Blixen aime les sensations que procure la chasse, Beryl quant à elle ne tue que par nécessité.

Sa vie est elle aussi marquée par de nombreuses déceptions amoureuses : trois divorces et un enfant frêle qu’on lui retire très vite pour l’élever en Angleterre loin d’elle. Elle aurait été le second grand amour de Denys Finch Hatton, celle pour laquelle ce célèbre chasseur, collectionneur de trophées, impliqué en son temps dans le commerce de l’ivoire (et oui aussi…) et pilote de brousse, aurait quitté l’énigmatique Baronne Blixen… La romance immortalisée dans les mémoires africaines de la Baronne s’écartent donc en effet quelque peu de la réalité. 

Paula Mclain revient d’ailleurs sur cet étrange triangle amoureux : Beryl Markham, Denys Finch Hatton et Karen Blixen. Quelle drôle d’époque où les couples se faisaient et se défaisaient inlassablement dans la chaleur et la poussière des colonies africaines… La relation qu’entretenait Karen avec Beryl est fascinante. Si elles étaient toutes deux rivales, elles étaient cependant aussi de grandes amies qui se vouaient une admiration sans faille. Elles se sont partagées les faveurs du même homme sans se l’avouer …

De gauche à droite: Beryl Markham, Denys Finch Hatton et Karen Blixen avec ses Kikuyus…

Il est intéressant de noter le contraste de personnalités entre les deux femmes. Bien que Karen Blixen, mondaine, fût incontestablement l’âme sœur spirituelle de Denys, Beryl, au caractère indomptable, fût peut-être finalement son seul vrai grand amour. Elle aurait en effet été éprise de ce curieux romantique, un homme sans frontières ni attaches, incapable de vraiment se fixer. En somme, une énigme indéchiffrable. Elle deviendra d’ailleurs, tout comme lui après sa disparition, pilote de brousse.

Le portrait de Beryl Markham que dépeint avec finesse Paula Mclain, est étonnement touchant. Son parcours de femme libre dans un monde fait pour les hommes est inspirant tout comme ce désir chevillé au corps de vivre pleinement sans contrainte ni restriction. Elle aura réussi, à l’instar de Karen Blixen, à se réinventer elle aussi à maintes reprises. Elle était également écrivaine même si son roman fut qualifié à sa sortie de piètre qualité littéraire… J’ai déjà commandé son livre, Vers l’ouest avec la nuit, et compte bien le lire pour me faire ma propre opinion. 

Si j’ai adoré suivre le destin légendaire de cette femme exceptionnelle, j’ai également été époustouflée par la description des paysages majestueux de l’Afrique dans ce roman. Elles m’ont rappelé mon expérience personnelle lorsque je vivais adolescente au Zimbabwe. Le roman foisonne d’informations épatantes sur cette époque incroyable. On assiste de ce fait aux balbutiements de l’aviation, les premiers vols et l’arrivée en masse des touristes européens en quête de frissons et d’adrénaline. J’avais visionné avec un certain dégoût Mogambo, un film de John  Ford, qui même s’il était considéré comme un grand classique du cinéma avec Ava Garner, Clark Gable et Grace Kelly, m’avait malgré tout un peu révoltée. Il m’aura au moins permis d’avoir une vision claire de cette époque. Les animaux étaient traités sans égard, chassés pour le seul plaisir du sport, ou capturés pour l’étude dans des zoos animaliers. J’avais par ailleurs découvert avec effroi que la direction du film sur le tournage de Mogambo avait elle-même maltraité d’innombrables bêtes sans trucage pour renforcer l’authenticité du contexte historique. Navrant. 

Je dois l’avouer, j’ai tout de même eu une furieuse envie de revoir le film Out of Africa (encore me direz-vous !) et de relire La ferme africaine dont je garde un souvenir malheureusement flou. Peut-être étais-je trop jeune alors pour savourer l’écriture contemplative de Blixen, je trouvais les descriptions interminables et j’attendais avec une impatience fébrile, le passage consacré à sa liaison avec le mystérieux Denys Finch Hatton. J’avais été déçue de découvrir que son accident tragique en avion dans le roman n’était qu’anecdotique. J’ai donc l’intention de réparer cette déconvenue en relisant cette année le livre. 

En bref : Beryl Markam semble indéniablement aux yeux de Paula Mclain, la vraie héroïne de l’histoire, (une prise de position assez culottée mais très intéressante), celle qui fut volontairement oubliée. Karen Blixen ayant repris ses droits sur son ancien amant à sa mort, enterre les restes de sa dépouille sur ses propres terres et conserve jalousement son souvenir pour devenir l’amante éplorée.

Ainsi donc, L’aviatrice est un très bon complément au roman de Dominique de Saint Pern. Cette biographie romancée apporte une touche plus humaine au personnage de Karen Blixen qui me paraissait un tantinet trop froid dans cette dernière lecture (voir critique ici)

Pour conclure, cette aventure humaine époustouflante donne le tournis, elle retrace avec panache les destins hors du commun de deux femmes admirables et audacieuses. Cette fresque romanesque remarquable est un grand coup de cœur et ravira les lecteurs en quête d’évasion. D’une plume fluide et efficace, Paula Mclain fait renaître avec maestria le Kenya colonial, joyau alors encore intact de la couronne britannique.  A lire sans plus tarder !

Je vous invite à découvrir aussi cette courte vidéo qui nous propose une petite visite guidée dans le musée consacré à l’ancienne ferme de Karen Blixen où aimaient se retrouver les trois héros de L’aviatrice. Ce court documentaire de 2,59 minutes a été réalisé par la petite nièce de Blixen, ce qui apporte un caractère personnel des plus intéressant. Je ne rêve que d’une chose : partir un jour sur ses traces pour poursuivre le rêve…

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18 commentaires pour L’aviatrice de Paula Mclain

  1. quel destin ! Et tu me donnes furieusement envie de revoir Out of Africa!

    • missycornish dit :

      Ah c’est un bon livre très intéressant. Ce film, je ne m’en lasse pas. Je ne le comprenais pas adolescente et maintenant je l’adore ! Contente de t’avoir donné envie de le revoir. 😊😉

  2. Blandine dit :

    Je rejoins pleinement ChickyPoo et Fondant, tu écris vraiment bien, c’est un plaisir de te lire!

    Grâce à toi, je découvre ce roman dont le titre m’a tapé dans l’œil. Pionnière de l’aviation, j’aime! J’ai découvert il y a relativement peu Amelia Earhart (belle mais tragique destinée). Avec ce roman, je pourrai aussi en apprendre sur l’empire colonial britannique, et donc le Kenya – là, j’avoue ne rien y connaître.
    Pour les Etapes Indiennes (challenge d’Hilde), je lis Sharon Maas qui nous emmène dans un autre pays de cet empire colonial, en Amérique du Sud, le Guyana où il y a eu beaucoup d’immigration indienne. A nouveau, découverte totale!

    • missycornish dit :

      Ah merci Blandine. Les retours m’aident toujours à savoir si les lectures intéressent ou non les lecteurs. Si les thématiques plaisent. J’ai aussi découvert grâce à toi plein de romans et livres que je ne connaissais pas. J’ai encore quelques billets que j’aimerais rattraper chez toi. La thématique des étapes Indiennes me plaît. J’aimerais bien y participer. C’est toute l’année ? Je ne lis jamais assez vite. Là je suis en train de préparer des lectures pour A year in England. Je ne connais pas du tout Sharon Maas alors ce sera une fois de plus une nouvelle surprise à lire chez toi.

  3. maggie dit :

    Je ne me rappelais pas du tout de cette histoire de rivalité… Je note pour plus tard car je me suis lancée dans les étapes indiennes… PS : tu me diras quelle soirée pop-corn tu souhaites faire pour fin mars…

    • missycornish dit :

      Moi non plus Maggie ! J’ai été aussi surprise. Je ne connaissais rien de cette Beryl Markam. Les étapes indiennes, c’est une thématique qui me plaît beaucoup. Peut-être que j’y participerai aussi, j’ai quelques livres sous le coude. Il faut que je réfléchisse pour la prochaine soirée ciné. Là je prépare celle pour laquelle je suis en retard !

  4. Comme Chicky Poo, je trouve que tu as une très belle plume !!! Et chouette thématique du moment, du coup… une sacrée femme !! Doux dimanche.

    • missycornish dit :

      Merci Fondant ça me fait chaud au cœur et ça m’encourage à ne pas laisser tomber ! C’est sympa d’avoir des retours. Oui en ce moment je suis sur l’Afrique mais s’il y a d’autres thématiques que vous aimeriez toutes voir sur le blog, n’hésitez pas à me partager vos idées. 😊😉 Bon dimanche à toi aussi. 😘

  5. Chicky Poo dit :

    J’ai envie de te le dire à chaque fois, mais tu écris drôlement bien ! C’est passionnant de te lire, à chaque billet.
    Je ne connais pas ce bouquin, ni même son auteur ^^ Je découvre beaucoup de choses en venant chez toi 😉

    • missycornish dit :

      Merci Chicky Poo, ça me fait très plaisir. J’ai toujours peur d’écrire des tartines mais j’ai toujours envie de raconter pleine de choses. Quand je suis passionnée par un sujet on ne m’arrête plus. J’aime aussi venir sur ton blog. J’essaie de rattraper toujours les lectures manquées le soir quand ma Poupouche dort. Ce livre est vraiment bien. Je suis contente que cela te plaise. A très bientôt ! 😉😊

      • Chicky Poo dit :

        Héhé, je te comprends ! C’est vrai que tes billets sont denses, mais tellement intéressants qu’au final on ne voit pas le temps passer =) Et puis c’est très fouillé, très argumenté… J’adorerai savoir écrire comme toi !
        Contente que mon bout de l’Internet te plaise aussi 😉

  6. rachel dit :

    Et bin toute une aventure didonc…et bien complete…oui toute un epoque…;)

  7. Marjorie de Bazouges dit :

    Super cet article !
    Ça me donne des envies de lectures et de voyage.

    • missycornish dit :

      C’est une bonne pioche. Je l’ai dévoré. Je préfère cette biographie romancée à celle de Saint Pern. Elle est beaucoup plus romanesque mais au moins on en a pour notre argent. On est vraiment transporté!

On papote?