L’oeil du léopard de Henning Mankell

Se sentant coupable de la disparition tragique de Janine, sa maîtresse, Hans décide d’honorer sa mémoire en partant pour l’Afrique en Zambie, à Mutshatsha, sur les traces d’un missionnaire suédois du XVIIème siècle qui aurait perdu l’intégralité des siens au cours d’un voyage sinistre dans les contrées sauvages africaines. A son arrivée, Hans déchante très vite, l’endroit est chaotique, la misère tout comme la mort règnent sans partage sur ce no man’s land. Hans, à la fois fasciné et effrayé par cette Afrique insaisissable, s’éternise et y pose finalement ses valises. Lorsque Judith, une femme un peu rêche qu’il connait à peine lui propose de reprendre la direction de sa ferme, il y voit l’opportunité de mettre en oeuvre ses idéaux dans un paradis terrestre où tout semble à reconstruire, et de réaliser aussi un rêve d’enfance. Se pourrait-il qu’il trouve également une réponse au sens de sa vie ?  Hans ne se doute pas de ce qui l’attend là-bas… Le réveil sera d’autant plus brutal…

Difficile de dire si j’ai vraiment aimé cette lecture ; l’atmosphère est en effet particulièrement sombre et oppréssante. Si le thème de l’Afrique m’a de prime abord attirée, j’ai été très vite décontenancée par le ton aigre du récit car il prend au fil des pages une tournure des plus glauques. L’histoire oscille par ailleurs toujours entre deux univers : l’un froid et claustrophobe de la Suède, l’autre aride et étouffant de la Zambie, au coeur de l’Afrique australe. On suit ainsi au fil des pages les pérégrinations de ce héros qui n’en est d’ailleurs pas véritablement un. Je n’ai malheureusement pas réussi à m’attacher à cet homme indécis qui est toujours entre deux eaux. En somme, c’est un lâche qui souhaite échapper à sa propre vie et se retrouve malgré lui précipité dans un monde âpre qu’il ne comprend pas lui-même. La Zambie semble de prime abord l’endroit idéal pour se “planquer”, un endroit où les jours s’égrènent avec lenteur et où on remet toujours au lendemain les grandes décisions… 

J’ai donc eu beaucoup de difficultés à rentrer dans ce livre. La première partie en Suède m’a de ce fait un tantinet ennuyée puisqu’il ne s’y passe pas grand-chose. Le narrateur nous relate des bribes de son enfance partagée entre le traumatisme de son abandon très jeune par une mère démissionnaire et son éducation bancale assurée par un père alcoolique et rustre qui ne rêve que d’une chose, reprendre la mer et s’évader de sa forêt opaque où il coupe inlassablement du bois. Hans mène ainsi une existence d’une tristesse désespérante. Quel étouffement !

Son amitié teintée d’envie avec son camarade Sture, un “gosse” de riche, semble lui apporter un temps une certaine quiétude, jusqu’au jour fatal où son ami est victime d’un accident stupide qui le laisse paralysé pour le restant de ses jours. Ce passage est particulièrement effroyable car Hans est en partie responsable de ce drame. Le poids de la culpabilité pèse sur ses épaules et il finira par abandonner son propre camarade à son triste sort… Hans a tout d’un anti-héros. Il est toujours fuyant dans tout ce qu’il entreprend et manque cruellement de courage. 

On rencontre également dans cet étrange récit pour le moins macabre, une drôle de femme, une dame qui, à la suite d’une opération hasardeuse a perdu son nez et se promène avec le nez rouge d’un clown pour dissimuler le trou béant situé au milieu de son visage… Un trait de la littérature nordique qui m’a laissée dubitative (…) Hans n’est alors qu’un jeune collégien lorsqu’il croise sa route. Il vibrera d’amour pour elle dès sa première rencontre et entretiendra une relation ambiguë avec cette dernière. Cette partie du roman est tout aussi malsaine et à mon sens déroutante car on se demande bien comment l’auteur va nous emmener en Afrique… La mort subite et effroyable de cette femme sans nez, Janine, qui se suicide après avoir été abandonnée par son jeune amant Hans, étant une fois encore en partie responsable, scelle son destin. Il décide dès lors de réaliser le rêve de cette défunte en partant à la découverte de la Zambie. 

Ce pèlerinage étrange ne lui apportera aucun réconfort. Il fuira finalement un champ de ruines pour un autre.

La partie africaine relate les années post-indépendance de la Zambie  (le roman s’achève avec les années 90) qui est une véritable poudrière prête à exploser à n’importe quel moment. Les colons blancs ont été en majorité chassés du pays, seuls quelques-uns fiers et entêtés ont conservé leurs fermes et leurs propriétés. Hans se croit différent de cette population blanche anglo-saxonne raciste et étriquée qui maltraite les noirs. Donneur de leçons arrogant, il est d’ailleurs convaincu de comprendre la mentalité des africains et de savoir ce qu’ils désirent vraiment tout comme de connaître leurs besoins. Ainsi, il se voit comme un bon sauveur venu redorer en quelque sorte son blason. Lorsqu’il se retrouve à la direction d’une ferme de poules pondeuses et de 200 employés, la tête lui tourne et les désirs de grandeur prennent petit à petit forme dans son esprit. Ses idéaux se heurtent malheureusement à la sombre réalité de l’Afrique, les africains n’ont pas besoin des blancs pour vivre et survivre, ils agissent selon leurs propres codes, influencés par des croyances et des superstitions incompréhensibles pour l’esprit trop terre à terre blanc. Ainsi donc Hans comprend qu’il est lui-même un intrus sur cette terre sauvage et indomptable. Après 17 ans de vie en Afrique, il n’a toujours pas trouvé réponse à ses interrogations… Il repartira lui-aussi les mains pleines de sang…

Voici donc une lecture qui ne laisse pas de marbre (ou plutôt de glace…). A travers ce récit un brin glauque et inquiétant, Henning Mankell nous fait découvrir la face cachée de l’Afrique où la corruption tout comme le fatalisme tiennent malheureusement une place prépondérante dans son destin. On en ressort un peu désillusionné (ou traumatisé) comme notre “héros” Hans. Si le jour, cette terre sublime semble tout droit sortie d’un rêve, la nuit, elle devient le théâtre des pires horreurs. La ferme de Hans se métamorphose progressivement en prison dorée, un vrai bunker où, pour se protéger de l’extérieur, il n’aura d’autre choix que de se calfeutrer. J’ai trouvé l’analyse de l’auteur particulièrement fine lorsqu’il dépeint le milieu des anciens colons blancs. Si les noirs cultivent la haine des blancs, ces derniers ne sont pas tout à fait innocents non plus puisqu’ils méprisent sans cesse les noirs. 

En bref: Mankell décrit avec un certain talent la solitude des expatriés et la complexité de leur relation avec les noirs, la moiteur du climat, l’angoisse diffuse d’un pays au bord du cataclysme tout comme l’avidité des hommes qui le gouvernent. L’œil du léopard, c’est cette fièvre délirante qui attaque et ronge l’âme d’Hans lorsqu’il est pris de crises de paludisme, c’est l’Afrique qui prend peu à peu possession de lui, tapie dans l’ombre prête à bondir à l’instant propice pour venger ses torts…

J’ai d’ailleurs découvert que dans certaines parties du continent, il existait (et existe toujours) des sociétés secrètes basées sur des croyances animistes (et parfois cannibales) où des chefs sorciers étaient entraînés comme guerriers impitoyables pour devenir des “hommes léopards”. Ces êtres aux habiletés extraordinaires auraient la capacité de projeter leur conscience dans celle d’un léopard ou de simuler les attaques de cette bête sauvage. Leurs crimes étaient la plupart du temps motivés par la vengeance… Cette trouvaille de l’auteur demeure, selon moi, la partie la plus intéressante du roman, dommage qu’il l’ait peu exploitée dans son intrigue. Si je n’ai fait qu’une bouchée de ce livre, cette lecture contemplative fascinante reste cependant un brin trop pessimiste à mon goût. Elle aura toutefois eu le mérite de me faire réfléchir et de me donner l’envie de me recentrer sur des lectures plus légères.

Cet article a été publié dans littérature suédoise, roman philosophique, Thriller. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

26 commentaires pour L’oeil du léopard de Henning Mankell

  1. cora85 dit :

    Pourquoi pas ? Surtout que je lis très peu d’ouvrages se déroulant en Afrique.
    Bonne semaine d’avance, Amélie !

  2. maggie dit :

    J’aime bien les wallander de cet écrivain. Je n’en ai pas lu beaucoup… Je verrai si je me lance dans d’autres séries…

    • missycornish dit :

      Ah je ne connais pas du tout cette série de lui. Pour moi c’était une première mais j’aimerais tout de même en lire un autre de lui peut-être encore un de la série africaine.

  3. Marjorie de Bazouges dit :

    Bizarre le mot est faible ! je dirai plutôt glauque d’un bout à l’autre !!

  4. Marjorie de Bazouges dit :

    J’avoue que la littérature nordique me glace !😉
    Quand j’ai lu ce livre j’ai eu l’impression d’une longue nuit sans fin peuplée de cauchemars que cet homme traînait derrière lui comme un boulet. Il subissait sa vie sans volonté et sans imagination. Dommage car le titre suggérait tellement …
    Déprimés s’abstenir 😀

    • missycornish dit :

      Oui! C’est ça et tu as raison quand tu disais qu’il a trimballé avec lui son spleel jusqu’en Afrique. C’est ce qui m’a énervé d’un bout à l’autre du roman son manque d’imagination et son incapacité au bonheur.

  5. rachel dit :

    J’ai tellement aime ses chaussures italiennes….et son personnage de Wallander…mais lala euh non…je passe mon tour…;)

    • missycornish dit :

      Ah je n’ai pas lu Les chaussures italiennes mais apparemment c’est un très bon polar. Il est très connu pour ses romans policiers mais il a écrit pas mal de romans aussi sur l’Afrique. C’est pas le genre de romans à lire quand tu déprimes…

      • rachel dit :

        Je ne le mettrais pas sous l’intitule « Polar » les chaussures…;)…en tout cas j’ai hate a lire le 2eme tome…;)
        Mais bon pour le cote africain, je vais eviter pour l’instant…;)

        • missycornish dit :

          Ahaha tu as raison. Ce n’est pas le meilleur livre sur l’Afrique même s’il y a du vrai dans ce qu’il décrit. L’Afrique est malgré tout un beau continent. J’ai vécu trois ai Zimbabwe pas loin de la Zambie et si le pays était effectivement dangereux, j’en garde tout de même de très beaux souvenirs. Je relirai bien plutôt La ferme africaine.

          • rachel dit :

            Mes ecrivains favoris d’Afrique restent Amadou Hampate Ba et Alain Mabanckou…..mais lala je viens de rencontrer un mauritanien dont le premier livre m’a beaucoup plu….je viens d’acheter son 2eme a Zulma….;)….et j’apprecie beaucoup Tierno Monénembo, bien que je le trouve moins accessible…;) donc je vais attendre de lire l’afrique de Mankell…;)
            En tout cas 3 ans au Zimbabwe ouah tout un autre monde…tu as pu visiter les autres pays ?….;)

            • missycornish dit :

              Ah ça donne envie toutes ces lectures ! J’ai entendu beaucoup de bien des livres de Mabanckou mais je ne sais pas lequel lire en premier. 🤔 C’est sur la grande librairie que j’ai vu une interview de lui. Tu as raison pour Mankell d’attendre. J’ai passé aussi quelques mois au Botswana et ‘Afrique du Sud où j’ai passé une partie de mon Bac. 😊 C’était il y a déjà une quinzaine d’années. Je n’ai malheureusement pas pu aller au Mozambique, dommage.

            • rachel dit :

              Alors tout de suite…je te conseille « petit piment » de Mabanckou….cela reste mon livre de reference pour cet auteur…c’est tout son style !
              Ouah quand meme, cela t’en fait de chouettes souvenirs africains….;)
              Tu ne penses pas y retourner ?

            • missycornish dit :

              Oh en ce moment j’ai des moments de nostalgie. Je pense que c’est à cause du Covid. Je suis retournée au Zimbabwe, deux ans après mais ce n’était plus pareil. Je suis allée avec ma famille à la frontière et nous sommes retournés aux chutes Victoria. Le souci, c’est que les gens que la communauté d’expatriés a bien dû changer. Je garde mes souvenirs mais je sais que je ne retrouverai plus jamais la même ambiance qu’avant. C’est ainsi. J’aimerais à nouveau voyager avec mon mari et ma petite fille pour lui donner l’envie de découvrir d’autres cultures. J’aimerais beaucoup visiter.les Caraïbes et Cuba? Et toi? As-tu des envies d’évasion ?

            • missycornish dit :

              Je vais jeter un œil au roman Petit piment.

            • rachel dit :

              Oh oui je voudrais retourner au Perou…cuzco a ete une aventure formidable….mais bon je prefere ne pas y penser…on retrouvera notre normalite…..on retrouvera tout cela….;)….en tout cas je l’espere pour toi, une bien belle aventure en famille, c’est vraiment trop trop bien…;)

            • missycornish dit :

              Ah ça fait effectivement rêver l’Amérique du Sud! Quelle chance tu as eu d’aller au Pérou. Ça a dû être fabuleux. Oui on finira bien par retrouver un semblant de normalité. En attendant, les livres sont là pour nous faire rêver et voyager. 😊😉

            • rachel dit :

              Oh ouiii vive les livres…lala je voyage au Mexique…lol

            • missycornish dit :

              Ah le Mexique ! Ça fait aussi rêver…

            • rachel dit :

              C’est un pays que j’apprecie enormement….vraiment

  6. Chicky Poo dit :

    Je n’ai jamais lu Mankell, mais beaucoup de mes usagers à la médiathèque l’apprécient. Je t’avoue que ça ne me tente pas tellement, j’ai l’impression que ça doit être un peu longuet, pas certaine que ça me plaise…

    • missycornish dit :

      Effectivement il y a des passages un peu longs, des descriptions et des personnages que je n’ai pas vraiment bien compris. Ça partait parfois un peu dans tous les sens. Le personnage de la femme sans nez m’a déplu. Je n’ai pas compris sa place dans le roman. Bref, c’est un livre intéressant mais tout de même bizarre.

On papote?