Charpentier et violoniste talentueux, Solomon Northup est un homme noir né libre. Marié et père de trois enfants, il mène une vie paisible dans le nord des Etats-Unis, jusqu’au jour où il est approché par deux bonimenteurs qui lui proposent de lui offrir une mission temporaire dans leur cirque itinérant. Cette opportunité semble une aubaine parfaite pour améliorer sa situation financière, c’est pourquoi il décide de les accompagner dans une ville voisine, sans même avertir sa famille. Malheureusement, ces deux hommes malhonnêtes le droguent et il se retrouve le lendemain matin les fers aux pieds, prisonnier dans une cellule d’esclaves. Quand Solomon tente de revendiquer son statut d’homme libre, il est battu et on l’avertit de ne plus jamais mentionner son passé new-yorkais. Transporté par bateau, puis ballotté d’une plantation à une autre, Solomon vivra un enfer sur terre pendant une douzaine d’années. Il sera finalement affranchi et écrira ses mémoires pour témoigner des conditions de vie abominables des esclaves en Amérique.
Ce récit inédit, publié en 1853 et relatant douze années de cauchemar éveillé, a connu un succès sans précédent dès sa sortie. Son impact comme une traînée de poudre provoquera d’ailleurs un tollé mémorable. D’une puissance indiscutable, il contribua en outre à l’avènement d’un débat politique national sur la place de l’esclavagisme dans la société américaine au XIXème siècle qui conduira à la guerre de Sécession opposant le Nord au Sud.
Cependant, malgré son succès initial et sa réédition à plusieurs reprises, il tomba dans l’oubli durant une centaine d’années… Pour connaître finalement un regain d’intérêt à la fin des années 60. Une adaptation pour le cinéma a vu le jour en 2013. Steve McQueen a réalisé le long-métrage qui a raflé pas moins de trois oscars : celui du meilleur film, du meilleur scénario adapté et du meilleur second rôle.
Je n’ai toutefois pour le moment pu me résoudre à visionner cette adaptation, encore trop chamboulée par la lecture de cette autobiographie. J’ai en effet achevé ce livre à l’atmosphère particulièrement sombre et suffocante, le cœur au bord des lèvres et les larmes aux yeux. Une première pour moi ! Solomon Northup nous conte son calvaire dans la peau d’un esclave en décrivant dans le menu détail, une fois prisonnier les rouages inextricables de la traite esclavagiste.
Dès les premières pages, l’horreur s’immisce jusqu’à atteindre des sommets de barbarie inouïs. Évoquer l’esclavagisme d’un point de vue de la fiction n’a certes pas le même impact psychologique que de lire un témoignage authentique s’appuyant sur des sources vérifiées. Le narrateur fait ainsi le constat poignant de sa condition, sans juger ni exprimer de véritable rancoeur envers ses tortionnaires qui lui ont pourtant infligé d’innombrables sévices au fil des années.
Sa grandeur d’âme transparaît donc dans chacune de ses pages.
Il décrit aussi les tâches qu’il devait effectuer et les responsabilités qu’on lui avait confiées : la cueillette, loin d’être l’image d’Epinal que nous dépeint Autant en emporte le vent (un roman que j’affectionne pourtant tellement) s’effectuait dans la douleur et le sang au rythme des coups de fouet perpétuels des contremaîtres, la plupart du temps choisis pour leur goût sanguinaire de la torture. Les coups étaient souvent gratuits et effectués selon les caprices du maître ou même de la maîtresse. Ainsi, une esclave un brin trop désirable, pouvait tâter du fouet tout comme du bâton si elle suscitait trop de convoitise et éclipser la beauté de sa propre maîtresse… L’un des personnages féminins subit de ce fait la jalousie constante et maladive de l’épouse de son propriétaire. Elle sera finalement brisée et sa peau écorchée vive afin de détruire toute trace de ses charmes …
Faisant preuve d’une résilience inébranlable, Salomon gardera malgré tout la foi et l’espérance chevillées au corps. Comment est-il parvenu à ne pas sombrer dans la folie ? Les fantômes des laisser-pour-compte, ceux qui n’ont pas eu sa chance le hanteront néanmoins jusqu’à la fin de sa vie.
Bien que j’aie trouvé ce récit exceptionnel, certains passages m’ont cependant fait grincer des dents. La scène où le pauvre Salomon éprouve un grand soulagement à l’idée de changer de maître m’a davantage attristée. Après avoir été maltraité, le voilà sous la coupe d’un nouveau propriétaire, un pasteur à la réputation douce et généreuse… Ce dernier, rechigne à fouetter ses esclaves et n’autorise de les battre que si la situation l’exige vraiment … Salomon, comme un chien fidèle à son maître, éprouve une certaine fierté à l’idée d’être remarqué et apprécié. Si notre héros sera finalement secouru, combien d’autres finiront leur existence dans cette triste situation ; malmenés chaque jour, torturés, battus, fouettés, humiliés sans que personne n’entende leur plainte ? Quelle honte ! Ces êtres humains ont été traités pire que du bétail, dormant la plupart du temps à même la terre sans soin et séparés de leur propre famille.
C’est le cas d’Eliza dont la destinée connut une issue tragique que je n’oublierai sans doute jamais. Cette belle femme quarteronne, abandonnée de son amant blanc qui ne peut plus l’entretenir à la suite d’un revers de fortune, sera vendue aux côtés de ses enfants aux enchères au plus offrant. Les trois membres de cette famille seront finalement séparés et sa ravissante petite fille, elle, sera destinée à la prostitution …
La lumière qui rayonnait dans l’âme d’Eliza illuminant son être s’éteindra progressivement. Inconsolable et rongée par la tristesse, elle ne deviendra que l’ombre d’elle-même et succombera de chagrin. Eliza sera brisée par la souffrance tant physique que morale. Comme j’ai pleuré en lisant ces lignes tout en sachant que ce récit déchirant était vrai, que ces ombres entrevues par Salomon avaient bel et bien existé, et avaient vécu de telles souffrances.
Quel déchirement, comment de telles abominations ont-elles pu être tolérées pendant tant de siècles? Comment peut-on priver ainsi des hommes d’une liberté pourtant légitime, seulement parce qu’ils n’avaient pas la même couleur de peau?
Ainsi donc les sentiments de ces pauvres forcenés sont inlassablement bafoués. Le manque d’empathie et de pitié de ces tortionnaires est tout bonnement abject.

Pour conclure, cette lecture nous trouble et nous hante même la dernière page tournée en nous laissant un sentiment de malaise glaçant. On tremble, on pleure à chaudes larmes, on est dégoûté de découvrir ce pan de l’Histoire trop souvent édulcoré voire réinterprété. Ici, l’auteur d’une plume fluide dévoile sans oeillère les sombres réalités de l’esclavagisme et en particulier de la culture sudiste dans ce qu’elle a de plus barbare. Au lecteur de se faire sa propre opinion et d’en tirer les conclusions.
En bref : une lecture déchirante d’une intensité rare. Un bouleversant plaidoyer contre l’esclavagisme et un témoignage édifiant nécessaire pour véritablement se rendre compte de l’abomination qui fut perpétrée aux Etats-Unis pendant plus de deux siècles… Il ne me reste plus désormais qu’à me plonger dans La case de l’oncle Tom qui trône sur mes étagères depuis de nombreuses années. Solomon Northup aurait apriori inspiré l’un des personnages du livre…
La bande-annonce de 12 years a slave : (223) 12 YEARS A SLAVE – Official Trailer (HD) – YouTube
J’étais persuadée d’avoir vu le film tant il est connu, mais en fait non. Ta chronique est passionnante, mais je pense qu’il faut être dans un bon état d’esprit pour lire le livre (ou même regarder le film). Je me le note, je suis curieuse même si je ne suis pas rassurée sur certains passages dont tu parles… Je verrai mais je ne manquerai pas de venir t’en reparler si je le lis !
Bonjour Chicky Poo! Ah je pensais comme toi avant de lire le roman que j’avais déjà vu le film mais non je ne sais pas pourquoi je ne l’ai toujours pas visionné. En effet, il faut être dans un bon état d’esprit, je pense que depuis que j’ai eu ma fille, je suis plus sensible encore aux histoires d’enfants maltraités et séparés de leur famille. J’ai du mal avec tout ça. Tu me diras quand tu auras sauté le pas. En attendant, je prépare un billet un peu moins sombre. Bon weekend!
Je n’ai pas lu le roman, que j’ai découvert suite au visionnage du film, un soir que j’allumais la télé (ce qui est rare).
Il m’a écœurée et bouleversée 😥
Il me semble que les appropriations et descriptions de ces horribles faits sont de moins en moins édulcorées dans les livres comme dans les films. Cette image véhiculée par Autant en emporte le vent (ou Nord Sud aussi) avait fait l’objet d’une vindicte il y a quelques années pour que soit rétablie l’horrible réalité.
Bonjour Blandine! Oui c’est ce qui dérange le plus. Sachant que tout était vrai j’ai trouvé la majeure partie du livre insoutenable. De ce que tu me dis je doute voir le film, je me rends compte que je suis de plus en plus touchée par ce que je lis donc je vais me tourner vers des lectures plus douces. Je ne supporte plus cette cruauté. C’est vrai que dans les films et les livres il y a de plus en plus de violence.
Je me retrouve dans ce que tu écris.
Comme toi, je ressens le besoin de lectures plus douces, plus belles, moins dures ou cruelles.
Le contexte y est aussi certainement pour quelque chose, mais on change aussi (c’est cliché mais vrai^^)
Bonjour Blandine ! Oui en effet mes lectures sont rythmées selon mes humeurs du moment et en ce moment je ne veux plus lire d’histoires glauques et tristes. Ah on s’est bien trouvé alors autour du challenge Cottagecore. Ça fait du bien de lire des choses plus légères de temps en temps.
Ouf!!! Le genre de récit qui continue de nous habiter durant un bon moment. J’ai regardé la bande-annonce. C’est troublant et tellement injuste. Un très beau billet.
Milly c’est un roman très dur. La bande-annonce donne envie de voir le film mais c’est le genre de roman qui nous marque sans qu’on puisse dire qu’on a vraiment aimé. Merci ! 😊
Il y a des sujets beaucoup trop durs pour moi…et celui-ci en fait parti…desolee je passe….
Tu as raison. Surtout en ce moment on a besoin d’optimisme dans notre vie. C’était pas la lecture idéale pour cette saison. 🙄😥
Oui mais c’est vraiment tout le temps…comme les camps de concentration, sujet trop fort pour moi…
C’est pareil. Je déteste généralement ce genre de livre. Là je t’avoue que c’est parce que je devais dans le cadre de mon club de lecture présenter une biographie romancée. Mais oui ce sont des sujets qui au final nous plombe. Tu as raison de passer ton tour si tu es trop sensible. Je vais venir lire tes étapes Indiennes. 😉😊
Tout un autre sujet dure…une guerre d’independance….bref…les challenges nous sortent de notre zone de confort…;)
J’ai vu le film, il ne m’avait pas paru si dur… J’ai lu Bakita, je ne m’en suis toujours pas remise.
Je n’ai pas vu le film. Je le verrai un jour. Pour ce qui est de Bakhita pour l’instant je passe. J’ai envie de lectures plus douces.
Comme je te comprends. Si tu t’intéresses à l’esclavage je te conseille la lecture de Segou.
Ah oui c’est vrai tu m’en avais parlé. 🤔 Il faudrait que je le recherche sur Vinted à la fin du mois. Je vais le mettre dans mes favoris. 😊😘😘😘
Bravo, c’est une chronique très convaincante. C’est un sujet qui me passionne. J’ai découvert dernièrement un auteur américain, Ernest J. Gaines, que vous connaissez peut-être déjà, qui décrit très bien le racisme dans le sud des Etats-Unis.
Bonjour Inthemood! Moi aussi j’ai découvert ce sujet grâce aux séquences que j’ai préparées pour mes élèves. Je ne connais pas du tout cet auteur, aussi je vais essayer de trouver le livre. Belle soirée !