Ku Klux Klan, des ombres dans la nuit

J’ai découvert la collection Histoire et société en flânant au hasard sur la blogosphère. Blandine en faisait une critique positive (voir sa chronique ici). Cette édition très originale m’avait d’emblée tapé dans l’œil. Le contenu ne déçoit d’ailleurs pas. Pour chaque volume, une thématique bien particulière est proposée, incluant un court roman percutant, suivi d’un dossier complet et vulgarisé en rapport avec le contexte historique de l’œuvre. Le livret est donc très instructif et s’adresse à un large public, il est à la fois accessible pour le collège-lycée tout comme pour des adultes. 

L’histoire est plutôt bien troussée, et l’écriture sans fioriture est efficace. On est tout de suite happé par le récit, celui que fait Billy Caldwell à son petit-fils Jim, un enfant métis qui vient passer quelques jours avec lui dans son bayou. Après avoir été honoré par le président Barack Obama à la Maison blanche pour ses exploits dans la lutte pour les droits civiques, le vieillard lui raconte un épisode marquant de son enfance…

En 1953, au Mississipi, alors qu’il n’a encore que 10 ans, Billy Caldwell vit aux côtés de son père veuf dans une petite bourgade américaine du Sud. Ce dernier, un homme effacé, travaille d’arrache-pied en tant qu’éditeur-imprimeur pour le journal local Le Clairon. Après l’école, Billy a l’habitude de l’épauler dans sa tâche. Il est admiratif de son père qui lui a transmis sa passion des livres. Ses héros préférés sont ceux d’Alexandre Dumas, Mark Twain et Jack London. Le petit garçon aspire d’ailleurs à devenir lui aussi un modèle de bravoure. Avec ses deux camarades Herb et Jerry, il sillonnent toute la journée la campagne en quête d’aventures. 

Un jour, alors qu’ils s’ébattent dans une grange derrière une botte de foin, les garnements découvrent une étrange malle en bois. Les jeunes garçons intrigués en extirpent un curieux accoutrement, une tenue de fantôme…

L’oncle de Herb, qui les surprend à fouiner leur confie que cette tenue est “la plus belle chose qu’un blanc puisse porter”, et qu’elle doit demeurer cachée. Viendra un jour où peut-être s’ils se montrent dignes de la porter, les trois garçons pourront à leur tour devenir membres du clan particulier, qui revêtent à la nuit tombée cet uniforme secret.

Les enfants sont hypnotisés par cette étrange révélation. Billy Caldwell sait bien qu’il ne peut s’agir que du Ku Klux Klan. Bercé par ses lectures chevaleresques, il s’imagine appartenir à cette mystérieuse confrérie. Il se voit déjà endosser l’uniforme blanc et chevaucher un magnifique destrier en brandissant au clair de lune une torche lumineuse… Lorsqu’une nuit, en désobéissant à son père, il suit ses camarades pour assister à l’une des cérémonies clandestines du clan, Billy déchante, la bile au ventre… L’horreur le submerge devant le spectacle effroyable qui se déroule sous ses yeux… Son destin en sera irrévocablement bouleversé.

Quelle belle découverte ! Ce court roman m’a profondément remuée !  Le personnage de Billy est touchant. On éprouve beaucoup d’empathie pour lui tout comme pour son père,  qui deviendront victimes des soldats de l’ombre du Ku Klux Klan. Accusés d’être des “lèche-négros”, amis des noirs, ils se retrouveront mis au ban de la société. Leur courage dans une époque où la ségrégation est encore particulièrement active, est exemplaire. J’ai aussi aimé la relation subtile, teintée de respect bien que distante, qu’entretient le petit Billy avec la petite fille de sa femme de ménage, Madame Parker. Le jeune garçon en pince secrètement pour elle. Billy ne peut, en dépit de ses sentiments, s’adresser à elle, car Angela est noire et n’évolue pas dans la même sphère que lui.

Malgré tout, ce petit garçon courageux va s’embarquer dans un combat extraordinaire, au péril de sa vie et de celle de son père, pour les droits civiques des noirs. Ces désillusions seront nombreuses et Billy découvrira avec amertume l’acharnement des barbares encapuchonnés. Leurs expéditions nocturnes punitives contre les noirs, loin d’être des actes nobles, sont d’une lâcheté exécrable. Comment de telles exactions ont-elles pu être commises ?

En outre, cette édition est agrémentée de clichés des plus grandes figures de l’Histoire des droits civiques telles que Rosa Parks et Martin Luther King, mais aussi d’images-choc. Une photographie m’a tout de même mise pronfondément mal à l’aise : on y voit une scène de lynchage en noir et blanc d’une pauvre victime pendue à un arbre. Au premier plan, on découvre des blancs de tout âge, souriant, y compris des enfants rassemblés là comme pour une kermesse. Ce cliché est en fait une carte postale, la preuve que ces crimes étaient tolérés par la loi. Quelle horreur ! 

Ainsi donc, nombre d’américains sudistes étaient embrigadés dès leur plus jeune âge, comme sur cette photographie vue sur la toile. Cette parade glaçante des années 20 aux Etats-Unis ressemble à s’y méprendre à un rassemblement bon enfant… Affligeant !

Sans oeillères, l’auteur nous dévoile ici la triste vérité derrière le mythe romanesque du Ku Klux Klan. Cette lecture nécessaire entre de ce fait en résonance avec le contexte actuel du mouvement Black lives Matter, car bien que la télévision américaine nous présente encore aujourd’hui parfois un patchwork multicolore, à l’instar de Netflix, cette vision naïve d’un melting pot réussi s’écarte grandement de la réalité. Le combat contre le racisme perdure. 

En bref : J’ai achevé cette lecture, l’œil brillant et la boule au ventre. Cet ouvrage concis mais d’une densité finalement étonnante est tout simplement passionnant. Si l’auteur maîtrise plutôt bien l’écriture stylistique propre aux romans de jeunesse, à savoir l’usage régulier de paragraphes relativement courts, l’intrigue élaborée du roman risque cependant de rebuter les jeunes lecteurs ; les adultes y trouveront davantage leur compte.

Un deuxième tome est paru en 2011 : Les cagoules de la terreur. J’ai eu bien du mal à me procurer le second tome qui nous raconte les origines du KKK en reprenant le fil de l’histoire là où il s’était arrêté dans le précédent livre. Hâte donc de connaître la suite !

Je vous laisse en compagnie de Billie Holiday qui interprète la célèbre et poignante chanson Strange Fruit, une ode à la liberté et une dénonciation vibrante du sort des afro-américains durant la ségrégation. Cette interprétation personnelle de Billie Holiday raconte le lynchage d’un homme de couleur. Un étrange fruit pend à la branche d’un arbre et oscille au rythme de la brise sudiste qui souffle… Les paroles sont d’une puissance désarmante. L’interprétation de Billie Holiday donne des frissons car la douleur dans son regard est palpable. Superbe.

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14 commentaires pour Ku Klux Klan, des ombres dans la nuit

  1. Blandine dit :

    Je suis contente de t’avoir fait découvrir cette collection, et ce livre en particulier. L’ajout d’un dossier (dense) apporte une vraie plus-value au roman, pousse à aller plus loin, à s’interroger (même si certaines images sont en effet très dures – et que les images marquent plus que les mots bien souvent), à faire lien avec l’actualité – Oui, le combat perdure!

    • missycornish dit :

      Oui malheureusement. Je viens de commander celui sur Rosa Parks et j’attends le tome 2. J’ai hâte ! En tout cas ce sont de supers ressources. Même compléter ma séquence en anglais. Tu m’as fait découvrir toute une super série. Je n’ai par contre pas trouvé l’âge recommandé sur le livre

      • Blandine dit :

        C’est vrai que les âges ne sont pas toujours indiqués – je me fie à mon ressenti ou vais voir sur des sites tels Ricochet, sinon de librairie pour m’aiguiller

        J’aime beaucoup Oskar Editeur pour leur catalogue en lien avec l’Histoire. il est très riche et comporte beaucoup de références (romans, documentaires, docufictions, biographies). Je me commanderai aussi celui sur Rosa Parks (ils en ont plusieurs d’ailleurs)

        • missycornish dit :

          Oui ils sont une sacrée listes d’ouvrages. Je ne connaissais pas du tout cette maison d’édition mais c’est vraiment bien conçu. Je viens de recevoir le tome 2. Je vais le lire je crois rapidement. Je ne connais pas non plus ricochets. Je jetterai un œil aussi.

  2. maggie dit :

    Je ne connaissais pas du tout. Je suis étonnée que ce soit jeunesse… Je connaissais Billie Holiday. A l’occasion, puisque c’est difficile de se le procurer… PS : tu as vu Blakkklansman ? PS 2 Ca te dit de faire soirée pop -corn sur une héroïne ?

    • missycornish dit :

      Hello Maggie! Oui moi aussi cela m’a étonnée. Surtout qu’il y a un cliché qui n’est pas vraiment adapté au collège. La carte postale d’une scène de lynchage à mon avis est trop glauque à montrer. Mais le livret est très bien fichu. Je le montrerai plus à des lycéens je pense… Je n’ai pas encore vu Blakkkansman mais il paraît que le film est très intéressant. Là je compte voir ce soir Mississipi Burning. Je suis en train de rédiger un petit billet très en retard pour notre dernière séance rétro. J’ai une petite idée pour la soirée sur l’héroïne. Est-ce que l’héroïne peut-être morte mais obséder le personnage principal? Par exemple cette héroïne hante le protagoniste principal?

      • maggie dit :

        Oui bien sûr, elle peut hanter le personnage principal 🙂 . ca sera un rappel de la journée internationale de la femme 🙂
        J’ai choisi sucker punch, plus pop-corn, tu meurs…

        • missycornish dit :

          Ah bien pas mal du tout! Je pensais à un vieux film avec Gene Tierney, Laura. Je viens d’acheter le dvd. Je vais essayer de le visionner rapidement sur mon ordi.

  3. dasola dit :

    Bonjour Missycornish, merci d’évoquer le KKK, mouvement apparu à la fin de la Guerre de sécession et qui continue de sévir de nos jours même si les membres sont moins nombreux. Ce sont des individus qui font peur. Concernant l’interprétation de Billie Holiday, on est bouleversé. Bonne journée.

  4. rachel dit :

    Beaucoup trop horrible…beaucoup trop affligeant….non je passe mon tour….

  5. Chicky Poo dit :

    Il doit être drôlement intéressant ! Le sujet est tellement dur… La collection est très chouette, j’avais lu « Oradour-sur-Glane, un village si tranquille », c’était très intéressant aussi, même si j’avais eu du mal avec le style de l’autrice.

    • missycornish dit :

      Ah oui il est pas mal du tout. Il y a une touche d’optimisme à la fin donc ce n’est pas non plus déprimant. Mais c’est quand même émouvant parce que c’est vu à travers le regard d’un enfant. Ah je ne l’ai pas lu celui-là. C’est vrai que le souci avec ce genre de docu-fiction, c’est que les auteurs sont parfois avant tout des historiens plutôt que des romanciers.

On papote?