Pachinko de Min Jin Lee

Les années 30.

Yangjin, une jeune coréenne sans le sou épouse Hoonie, un estropié au grand cœur qui l’accueille dans sa pension familiale. Malgré leurs différences, ce couple incongru mène une existence harmonieuse et a une jolie fille, Sunja, qui les comble de bonheur. Mais à la mort de Hoonie, la veuve Yangjin se retrouve démunie. Elle s’échine au travail pour subvenir au besoin de sa fille bien-aimée. Cette dernière peine elle aussi à ses côtés pour faire tourner leur petite pension chancelante.

Lorsque la jeune Sunja rencontre un riche étranger, elle succombe très vite à ses belles paroles et à son charme diabolique et débute avec lui une idylle illicite. Sunja est convaincue que Hansu l’épousera mais ses rêves illusoires se heurtent malheureusement très vite à la triste réalité : la jeune femme s’est fait berner, cet homme d’âge mûr et énigmatique est marié au Japon, et est aussi père de famille. Enceinte, la voilà face à un cruel dilemme : devenir la seconde épouse coréenne de son amant et entacher l’honneur de sa famille jusqu’ici respectable, ou épouser un pasteur chétif et tuberculeux aux idées romantiques pour dissimuler la honte d’un enfant bâtard de naissance… Sunja ne se doute pas que sa décision finale scellera à jamais son destin et aura des répercussions dramatiques sur sa lignée future…

Et c’est ainsi que débute ce roman formidable qui conte le destin inoubliable d’une petite famille coréenne partie de rien et qui se retrouvera malgré elle étroitement liée à l’expansion du Pachinko (un jeu d’argent et de hasard) au Japon. L’intrigue se déploie ainsi sur quatre générations (de 1932 à 1989).

Barack Obama s’est lui-même émerveillé à la lecture de cette histoire multi-générationnelle lors de la parution du roman en 2017. L’ancien président américain a eu le nez fin, cette œuvre est une vraie pépite ! Si le coût du livre m’a de prime abord fait hésiter, cet achat s’est révélé finalement une très bonne pioche !

Il aura fallu pas moins de quatre ans pour que les éditions françaises se décident enfin à traduire ce petit chef-d’œuvre d’écriture. L’attente fut longue mais elle en vaut la peine car les éditions Charleston nous ont produit un livre “écrin” somptueux et se sont également appliquées pour la traduction de cet ouvrage. La plume modeste et sans fioriture de l’auteure sert d’ailleurs parfaitement bien le caractère pudique des personnages de ce roman qui évoluent selon des us et coutumes ancestrales coréennes.

Si le livre est une sacré brique de 622 pages, une épaisseur qui peut sans-doute paraître intimidante, la lecture n’en reste pas moins passionnante. Les pages ont défilé à un rythme affolant. Impossible de lâcher ce livre ! J’étais complètement happée par cette histoire incroyable, au point d’en perdre la notion du temps. Certes, on peut parfois déplorer un manque de souffle romanesque, on est en effet peu habitué à tant de retenue, cependant, Min Jin Lee arrive tout de même à faire renaître avec brio une période historique longtemps passée sous silence: l’immigration de pauvres au Japon traités comme des pestiférés par la population locale durant et après la colonisation de l’Empire Coréen. 

Outre une toile de fond historique maîtrisée, la psychologie des personnages est particulièrement bien soignée. Si l’intrigue se focalise avant tout sur Sunja, un petit brin de femme courageuse et droite, l’histoire suit également le parcours tumultueux de ses enfants et petits enfants stationnés au Japon. On s’attache dès lors à cette galerie de personnages hauts en couleur et résilients qui grandit et évolue dans un univers parfois âpre et cruel. Cette petite tribu coréenne tente tant bien que mal de s’intégrer au Japon.  Ainsi l’amour indéfectible qui les lie est profondément touchant. L’auteure nous fait aussi découvrir deux cultures très peu connues de nous occidentaux, la culture coréenne et nipponne, où l’honneur prime sur la raison et est poussé jusqu’au sacrifice, à l’instar de Sunja dont l’entêtement tout comme sa droiture inflexible la poussent à faire des choix qui auront des conséquences dramatiques sur sa famille.

Derrière une fiction en apparence anodine se dissimule également un témoignage poignant des conditions de vie déplorables des “zainickis”, les coréens maltraités et constamment humiliés par les japonais qui ont été très tôt élevés dans la haine de ces immigrants (ces préjugés perdurent encore à l’heure actuelle). La Corée a en effet été très tôt écartelée entre l’Amérique et son pays voisin délétère, le Japon. Les coréens ont dû assimiler non pas une culture mais trois ! Les personnages de ce roman vont être ballotés d’un pays à l’autre en quête de leurs racines. Cet aspect est d’ailleurs admirablement bien traité par la romancière. On découvre un mode de pensée étonnamment éloigné du nôtre où l’esprit communautaire demeure la principale force de cette famille, c’est pourquoi, les aînés ne sont pas considérés comme un fardeau, ils doivent être traités avec égards et compassion. Tous les membres de cette tribu fonctionnent donc dans l’entraide. Les relations hommes-femmes évoluent aussi selon les générations. La femme est tenue de respecter son époux qui la domine et qui est le seul maître du pouvoir décisif. Cette facette un tantinet archaïque du couple s’effrite peu à peu au fil des chapitres, à mesure que les personnages se frottent progressivement à la culture américaine. Les filles se peignent les bouches d’un rouge écarlate et délaissent le kimono, ce vêtement traditionnel ample pour dévoiler leur courbe. 

Ce roman restera longtemps gravé dans ma mémoire, je n’oublierai jamais le destin tragique de ce pauvre pasteur emprisonné pour ses convictions, ni la résilience, tout comme le courage admirables des personnages de ce roman, des êtres ordinaires profondément humains, sans cesse accablés par les coups du sort et subissant inlassablement les préjugés racistes à leur encontre. La dureté de leur vie est désespérante. Les premières pages du roman sont de ce fait d’une tristesse désolante. 

On y trouve par ailleurs une petite pension familiale minuscule où les hommes s’entassent dans la promiscuité faute d’espace. Une rotation est d’ailleurs établie pour permettre à un grand nombre d’y dormir… On se croirait presque à certains moments dans une œuvre victorienne du XIXème siècle comme les romans sombres de Charles Dickens. Toutefois, j’ai regretté qu’il n’y ait pas davantage d’émotions dans l’histoire. Si j’ai adoré la première partie du roman consacré à Sunja, je dois avouer avoir moins aimé celle dédiée aux enfants car l’héroïne vieillie et avec elle, tout un monde disparaît progressivement…Le lecteur voit ainsi la culture coréenne doucement absorbée et gommée sous le poids de la culture occidentale et nipponne… Un bien triste constat. 

En bref: Voici donc un très bon roman, servi par une écriture toute en retenue. J’ai été complètement captivée par cette saga familiale historique. Min Jin Lee retrace avec maestria l’exil d’une petite famille coréenne sur quatre générations. Cette belle histoire de résilience et de compassion reste une bonne découverte, un véritable dépaysement !  

Une adaptation pour le petit écran serait actuellement en cours. Apple a en effet obtenu les droits et s’attaquerait à la réalisation d’une série télévisée qui devrait être diffusée très prochainement… La plateforme de vidéos souhaiterait par ce biais conquérir le marché asiatique… La série devrait également être tournée simultanément en anglais, coréen et japonais ! Un projet ambitieux ! On attend avec impatience le résultat !

Cet article a été publié dans Littérature asiatique, roman historique. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

14 commentaires pour Pachinko de Min Jin Lee

  1. La Gueuse dit :

    C’est étonnant, ça ne ressemble pas à tes lectures habituelles. Où en as-tu entendu parler ?

    • missycornish dit :

      J’en ai entendu parler par hasard sur la chaîne de Gérard Collard. J’ai trouvé le sujet intriguant, ça changeait de ce que je lis d’habitude. La couverture aussi m’a attirée.

  2. maggie dit :

    Merci pour ce conseil ! C’est noté !

  3. cora85 dit :

    L’histoire a l’air très touchante. Merci pour la découverte, surtout que je connais très mal les lettres coréennes.

  4. Chicky Poo dit :

    Je ne suis pas sûre que ça serait pour moi, mais j’ai comme objectif de lire plus de genres que je ne lis pas habituellement, alors je note ça. Et il faut avouer que tu en parles bien donc bon… 😉

    • missycornish dit :

      Ah! Ce n’était pas non plus le genre de romans que j’ai l’habitude de lire mais finalement j’ai trouvé cela très intéressant. C’était une lecture enrichissante. J’essaie de m’intéresser un peu plus à la littérature asiatique.

  5. rachel dit :

    Je suis en plein dedans…quand elles commencent a vendre le Kimchi….alors je ne lis pas ta critique pour l’instant….;)

    • missycornish dit :

      Pas de soucis ! Reviens-vite alors! Je serais contente de connaître ton avis. Oui je me souviens de cette scène. Les deux personnages féminins sont courageuses. Tu avances bien. Ça te plaît pour l’instant ?

  6. Marjorie de Bazouges dit :

    Je crois que je vais le mettre au programme de mes prochaines lectures.

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