Début du vingtième siècle dans les îles Salomon. Un jeune aventurier et planteur britannique, David Sheldon se retrouve perdu sur un petit bout de terre désolée au milieu du Pacifique. Loin de toute civilisation et dévoré par une fièvre tropicale, il accuse coups sur coups, d’abord avec la perte de son navire de marchandise puis avec la mutinerie de ses employés, des autochtones anthropophages au caractère particulièrement réfractaire. Seul sur son îlot isolé, son destin semble scellé. Pourtant, l’arrivée d’une séduisante Américaine, Joan Lackland, au caractère indépendant et aux idées fort novatrices, bouleverse sa routine de vieux célibataire …
Écrit en 1911 au cours d’une croisière mouvementée sur les mers du Sud qui se clôtura malheureusement par un échec cuisant, l’Aventureuse est un drôle de roman d’aventure maritime aujourd’hui passé de mode … Cette œuvre bancale mais néanmoins pleine de charme aura au moins eu le mérite d’insuffler une nouvelle dynamique aux écrits de Jack London, qui à cette période de sa carrière, manque cruellement d’inspiration. En effet, ses romans sur le Grand Nord ont eu un succès international retentissant grâce notamment aux magnifiques chef-d’oeuvre de Croc-blanc ou de l’Appel de la forêt devenus des classiques intemporels. Cependant, ces contrées lointaines et glacées n’attirent plus vraiment son lectorat qui commence à s’en lasser tout comme l’auteur lui-même qui a désormais soif de nouvelles évasions. Ce roman né, de ce fait, de son second courant d’inspiration. Jack London, vieux baroudeur, s’engage donc dans une croisière prometteuse, à bord d’un navire de fortune qu’il a lui-même conçu, le fameux Snark. Cette expédition maritime avait originellement pour but de partir à la découverte des îles du Pacifique et de l’Océanie. Jack London était en effet un adepte du vagabondage. Intrépide, il avait pour projet de visiter entre autres les îles Salomon, lieu où se situe principalement l’intrigue.
Alors que ce roman aurait dû consolider sa renommée, l’accueil du public se révèle finalement assez tiède. Le livre passe quasiment inaperçu à sa sortie en librairie. La critique semble dès lors le bouder. Pourquoi donc ce revirement de situation? Et pourquoi la réputation de Jack London semble désormais entachée? Tout simplement parce que cet écrivain remarquable a toujours jusqu’à présent été avant tout considéré comme un romancier social, un grand humaniste, depuis notamment le succès d’édition de son roman Le peuple d’en bas en 1903, un témoignage édifiant sur les conditions rudes et effroyables de la classe ouvrière londonienne. Il est dès lors étrange de découvrir à travers l’Aventureuse, la voix d’un planteur anglais pour le moins raciste, une vision quelque peu nauséabonde inspirée des idées colonialistes de l’empire britannique que l’auteur semble lui-même partager… Toutefois, il est toujours bon de rappeler que Jack London était avant toute chose un écrivain de son temps. Cette lecture doit donc être contextualisée pour être appréciée ou plutôt tolérée. On note par ailleurs que certains éditeurs ont déjà pris les devants pour éviter tout scandale éditorial en ajoutant même sur Amazon un petit commentaire en guise d’avertissement pour les lecteurs modernes qui pourraient adhérer à ces idées quelque peu réductrices .
“Follows the adventures of a plantation owner in the Solomon Islands. Be warned, quite a bit of racism, and it doesn’t seem to have any underlying message about that being a bad thing. Definitely one of those books that is a product of its time.”/ Traduction: ce roman suit les aventures d’un planteur dans les îles Salomon. Prenez garde, on y trouve une certaine dose de racisme, et il semble qu’il n’y ait aucun message sous-jacent pour le dénoncer. Assurément un roman qui est un pur produit de son temps …
J’ai d’ailleurs pu remarquer, avec une certaine sidération, que le roman vendu sur le site Amazon britannique sous le titre original Adventure ne comporte aucune autre remarque, comme si ce livre ne méritait pas la moindre mention … Cela en dit long …
Sait-on jamais, un public ignare pourrait en douter et prendre à la lettre les idées de ses héros de papier. J’ai toujours apprécié Autant en emporte le vent (mon livre de chevet par excellence, dois-je avoir honte de l’admettre?) étant encore aujourd’hui une fervente admiratrice de la plume acérée de Margaret Mitchell. J’adore Scarlett, une punaise assumée qui se prend claque sur claque tout comme son histoire d’amour impossible avec le séduisant forceur de blocus Rhett Butler, mais ai-je été pour autant influencée par les idées racistes de cette héroïne capricieuse sudiste? Bien sûr que non ! Il en va de même bien évidemment pour ce roman d’aventure un peu suranné.
Si le roman comporte incontestablement des faiblesses d’écriture, il a malgré tout des qualités littéraires indéniables offrant par la même occasion des pistes de réflexion pertinentes sur les idées colonialistes de son temps.
Il est ainsi intéressant de noter les opinions divergentes des deux personnages principaux qui sont au final tous deux colonialistes même si l’un se croit plus humaniste et s’évertue à se donner bonne conscience en traitant ses ouvriers noirs avec davantage de considération … Joan déchante néanmoins car la population autochtone est particulièrement sauvage et évolue selon ses propres codes. La leçon se révèle amère pour cette jeune femme trop naïve et insouciante. C’est pourquoi, je ne suis pas entièrement d’accord avec le commentaire quelque peu sommaire d’Amazon sur ce livre. Il y a bien une conclusion et un message (discutable) que les Occidentaux ne sont pas prêts à entendre, notre vision du monde n’appartient qu’à nous, considérant que chaque culture possède ses propres croyances et ses modes de vie. Sheldon l’apprendra à ses dépends. Sa plantation est un échec total et sa vision colonialiste se heurte quotidiennement à la pensée primaire des autochtones… C’est ce que semble du moins vouloir sous-entendre Jack London …
L’auteur portraiture par ailleurs une héroïne fantasmée (par Jack London?) un brin excessive et peu crédible. Joan incarne l’émancipation féminine à l’américaine. Elle côtoie les hommes d’égal à égal (rappelons que le mouvement des suffragettes a pris son essor moins d’une dizaine d’années auparavant soit en 1903, huit ans avant la publication de ce roman…) et aime se travestir pour pouvoir accéder à cette liberté précieuse réservée essentiellement à la gente masculine. La demoiselle rappelle par bien des égards le caractère impétueux de la célèbre pirate et maîtresse de Jack Rackam, la belle Anne Bonny qui sillonna les mers aux côtés de son amant. Quant au héros masculin, Sheldon incarne un gentleman typiquement britannique. Ce célibataire endurci, buté et routinier, ne souhaite guère initialement s’encombrer d’une présence féminine. D’autant plus si cette dernière n’a d’autre dessein que de révolutionner toute sa plantation en apportant avec elle ses idées pour le moins progressistes. Sheldon traite Joan comme une demoiselle vulnérable. S’il est sans aucun doute paternaliste envers les noirs, sa vision de la femme est tout aussi insultante, sa fonction principale demeurant avant tout ornementale.
Pour conclure, sans être une grande œuvre romanesque exceptionnelle, ce petit roman d’aventures fut toutefois divertissant. Dommage que certains passages racistes ternissent un peu trop le récit comme ce chapitre d’introduction dont on se passerait franchement il est vrai tant la description est désolante. Un homme noir y est dépeint de façon péjorative en étant comparé à un destrier crépu … Affligeant.
L’un des rares clichés existant encore de Jack London durant l’expédition du Snark dans les îles du Pacifique aux côtés d’un autochtone (années 1910).
Dans un climat de touffeur moite, Jack London nous offre cependant un périple exotique savoureux. Certes, sa vision colonialiste un brin poussiéreuse reste quelque peu déroutante pour nous lecteurs occidentaux modernes. Néanmoins, ce livre est idéal pour les férus de littérature maritime. Il n’est en outre pas avare de rebondissements (chasse à l’homme, duels à mort, petite romance et j’en passe). Les héros enchaînent des aventures toutes plus invraisemblables les unes que les autres et se retrouvent même confrontés à une mutinerie de cannibales particulièrement glaçante.
En bref: un roman d’aventures à mi-chemin entre Mogambo et les récits flibustiers du XIXème siècle que j’affectionne particulièrement tels que Le faucon des mers ou Les quatre plumes blanches (mon billet ici) avec certes, moins de panache. Jack London ne maîtrise d’ailleurs pas particulièrement le genre romantique. Ses tentatives de romance sont maladroites et superficielles par moment comme cette fin qui demeure quelque peu expéditive et prévisible. L’aventureuse moins aboutie que l’œuvre phare, Martin Eden, de ce romancier pourtant génial semble avoir été achevée trop hâtivement.
Un dernier commentaire concernant Jack London :
A mon sens, on ne devrait pas ignorer cette part d’ombre de l’écrivain, ses zones grises de son œuvre sont nécessaires si on souhaite connaître la véritable personnalité de Jack London. Bien que ce roman insolite ne trouve guère sa place aujourd’hui dans le courant de pensée actuelle, il nous permet d’en apprendre davantage sur l’homme qui s’est longtemps caché derrière ses écrits et non la légende que le monde littéraire a forgé de toute pièce autour de lui. Jack London était au fond, un homme pétri de contradictions, avec ses qualités tout comme ses défauts et ses faiblesses, capable de défendre la veuve et l’orphelin dans Le peuple d’en bas, d’éprouver une empathie admirable envers les bêtes, la preuve avec son magnifique roman Croc-blanc (ma toute prochaine lecture) et a contrario prêchant un darwinisme social convaincu, une pensée malheureusement très courante à la fin du XIX siècle tout comme au début du XXème siècle.
Coucou ! Je l’ai lu mais n’en garde que peu de souvenirs, oups…
J’espère que tu vas bien…
Coucou Fondant! J’ai enfin réccupéré mes identifiants lol. Je viens de revenir sur la toile et je participe au read-a-thon British Mysteries. ça va toi? J’ai été très débordée mais je reviens parmi vous toutes. Je vais aussi rattraper mes lectures de vos blogs.
Mais pourquoi est-ce que tu l’as lu, finalement ?
Parce que j’ai adoré Martin Eden de Jack London. J’ai repéré le bouquin dans une foire à tout et j’ai été intriguée par sa couverture et par son résumé. J’ai vu que c’était un roman d’aventure avec une romance dans les îles Salomon et je me suis dit que ça allait me faire voyager
Je ne le connais as du tout.
Je partage ton avis sur le fait qu’une œuvre est à analyser dans son contexte et qu’elle permet d’en apprendre plus sur la façon dont les gens voyaient le monde.
Au passage, j’adore moi aussi le livre de M.Mitchell !
Belle fin de semaine.
Je ne connaissais même pas ce roman, j’avoue que je ne suis même pas certaine d’avoir lu Croc-Blanc, je n’arrive pas à me souvenir du tout du tout du tout de l’histoire ^^
Effectivement..on en revient a ce fameux debat….l’homme vs l’auteur….mais lala ils se rejoignent….et cela fait peur….