Seule en sa demeure de Céline Coulon

OIP (7)Milieu du XIXème siècle.

Aimée, jeune femme insouciante, épouse par convenance, Candre, un veuf taciturne et mystérieux. Ce propriétaire jurassien aux allures de curé possède une demeure somptueuse dans le domaine de Marchère, un lieu intriguant et oppressant, enserré dans une forêt opaque et brumeuse. La jeune femme de prime abord confiante à l’idée de devenir la maîtresse du logis déchante très vite à son arrivée. L’endroit est lugubre. En effet, on ne s’y amuse guère. Elle qui pensait y découvrir un foyer chaleureux où elle pourrait s’épanouir et peut-être fonder sa propre famille se heurte à l’influence omniprésente d’une servante intrusive et d’un mari au caractère insondable. Alors que Aimée sombre peu à peu dans la dépression, la venue d’une professeure de musique à la beauté néfaste apporte une ouverture sur le monde extérieur, une légère bouffée d’oxygène dans ce cadre oppressant et claustrophobe… Elle incite malgré elle Aimée à s’interroger peu à peu sur sa position de femme et à tenter de percer le mystère qui entoure la mort de la première épouse de Candre, une ombre malheureuse qui plane toujours sur son mariage …

Il est difficile de ne pas d’emblée établir un lien connexe avec Rebecca (mon billet ici) dès les premières pages. L’inspiration est en effet flagrante. La première moitié du roman m’avait véritablement happée, je l’avais lu avec avidité. J’étais confiante, convaincue de tenir entre mes mains une petite pépite d’écriture. Malheureusement mes espoirs furent illusoires, la seconde partie est un désastre.

OIP (8)L’introduction d’un personnage féminin (une professeure de musique) moyennement convainquant a, à mon sens, ruiné la dynamique du roman. Une histoire d’amour saphique naît en effet progressivement entre Aimée et cette professeure, ce qui a priori ne devrait pas vraiment gêner (c’est dans l’ère du temps me direz-vous). Cependant, cette idylle peu crédible semble étrangement forcée et est finalement traitée avec maladresse, comme si l’auteure elle-même ne savait comment vraiment l’aborder et s’était pliée à la politique du “en même temps”, une manière bancale de répondre au quota actuel imposé dans la littérature contemporaine comme dans le cinéma. Voilà encore un moyen peu honnête et mercantile d’appâter le lecteur. Tant qu’à lire de la littérature inclusive, je préfèrerais encore me plonger dans un excellent roman de Sarah Waters. Cette dernière maîtrise à la perfection le thème de l’homosexualité tout comme la psychologie ambiguë de ses figures féminines. Son roman victorien Affinités sur le spiritisme qui trône depuis plusieurs mois sur mes étagères me tente d’ailleurs grandement. Il sera sans doute l’une de mes prochaines lectures. 

Dans la seconde partie du roman, on se retrouve donc peu à peu plongé dans une histoire de plus en plus farfelue et tordue, complètement brouillonne. Je me suis ainsi fait violence pour la terminer, profondément déçue et avec la sérieuse impression de m’être fait berner par ce petit roman gothique français franchement mauvais. 

Tous les ingrédients étaient pourtant présents pour nous fournir un roman gothique efficace, or, rien ici ne fonctionne. Crimson Peak qui mêlait habilement le baroque hispanique et le gothique anglo-saxon était une belle réussite (ma critique ici). Le gothique français est quant à lui, en vérité, profondément ennuyeux. On se fait au final très “suer” dans le Jura… Il semble que les français soient incapables d’ébaucher des personnages d’une finesse psychologique analogue aux romans gothiques britanniques. N’est pas Charlotte Brontë qui veut… Les personnages ont par ailleurs des noms à coucher dehors (Aimée passons, mais Candre honnêtement quelle idée ! Ils sont également trop caricaturaux comme emprisonnés dans une personnalité-type. On a ainsi le cousin  avide de conquêtes féminines comme de batailles glorieuses, la jeune gourde un tantinet écervelée (Aimée), la femme adultérine, le muet au visage d’ange qui pour se faire entendre gesticule comme un fou furieux et j’en passe … 

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Céline Coulon dans La grande librairie

Si les références littéraires à Daphné du Maurier sont également nombreuses, à la différence de cette romancière exceptionnelle, Céline Colon porte, elle, un regard bien trop moderne sur ses personnages qui, rappelons-le, sont censés évoluer dans un cadre temporel bien déterminé, le XIXème siècle (où sont donc passées les références à cette époque?). On se retrouve ainsi avec un personnage masculin qui ne nie pas sa part de féminité mais est-ce vraiment ce qu’on attend d’un héros masculin de livre? Les femmes fantasment-elles vraiment sur des hommes métrosexuels? On est de ce fait loin du personnage ténébreux et charismatique de Charlotte Brontë. Rochester évoquait de ce fait une certaine puissance masculine assumée (peut-être trop misogyne pour le lectorat moderne féminin… pas pour moi en tout cas!). Candre est aux antipodes de ce héros. Il est d’une beauté frêle et insolite mais dissimule derrière son physique de brindille (dixit), une force inattendue… (qu’on attend toujours à la fin du livre… bof bof tout de même). En somme, on ne peut pas dire qu’il respire la virilité. Candre est en fait dépourvu de tout sex-appeal … Si vous espériez des scènes torrides, passez aussi votre chemin; d’après Aimée, il n’est pas très doué dans ce domaine … Je me suis interrogée sur le rôle de ce personnage dans le livre. L’auteure a-t-elle volontairement décidé de le portraiturer de la sorte ou s’est-elle fait rattraper par son époque? Le roman ratisse large en tout cas, c’est indéniable. 

Pour conclure, il semble que le talent d’écriture ne fait pas tout pour faire un bon roman, encore faut-il avoir une histoire qui tienne la route et ne s’achève pas en eau de boudin. Certains passages se sont révélés particulièrement affligeants. Les trois personnages féminins sont (presque) interchangeables (il y a en a au moins une de trop, la professeure à mon avis aurait pu sauter).

Si l’écriture est assez belle et poétique, ce roman pêche par de multiples maladresses et faiblesses d’écriture. Il est saupoudré d’une culture woke à peine dissimulée qui au final ne s’assume pas vraiment. L’histoire pseudo-lesbienne m’a laissé de marbre, elle arrive comme un cheveu sur la soupe et n’apporte finalement pas grand-chose au développement de l’intrigue qui en devient parfois grotesque. Le clou du spectacle reste la langue sectionnée du frère de lait de Candre, une idée franchement immonde, d’autant plus lorsqu’on sait les véritables raisons de cette mutilation. Quelle idée franchement a traversé la romancière pour nous servir une telle bêtise? 

En bref: cette histoire d’amour refoulée et avortée s’est révélée peu intéressante. Ce roman creux et vain, peu rentable pour mon porte-monnaie, a eu le mérite de me rappeler les raisons pour lesquelles je ne devrais pas trop vite me précipiter sur les nouvelles parutions françaises en grands formats. Dommage car les éditions Iconoclaste nous avaient fourni un écrin des plus somptueux pour ce roman. C’est d’ailleurs la couverture flamboyante qui m’avait fait chavirer. Quel gâchis !

Une nouvelle participation un peu en retard au challenge Le mois Halloween et en partenariat avec Le challenge Cottagecore et une lecture commune avec ma copinaute Lou. Je vous retrouve très vite pour vous parler d’une meilleure pioche, un livre de Lovecraft.

Ghost manor pic

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14 commentaires pour Seule en sa demeure de Céline Coulon

  1. Carfax dit :

    bonjour, comment vas tu? j’avais déjà entendu parler de ce roman mais en des termes plus élogieux. c’est bien dommage… passe un bon mercredi et à bientôt!

  2. Lou dit :

    Comme tu le sais, cette lecture m’a déconcertée également. J’ai eu du mal à rédiger ma chronique programmée pour la semaine prochaine, mais c’est vrai qu’il m’a aussi manqué des liens, des personnages plus forts. Je n’ai pas compris de nombreux choix et suis passée un peu à côté alors qu’il avait vraiment tout pour me plaire. Sur ce livre, j’ai vraiment entendu tout et son contraire. Idem en librairie, j’ai vu 2 avis très positifs dans deux librairies, mais mon ancienne librairie de quartier (qui reste ma favorite) n’a pas adhéré, le roman n’a plu à aucun des trois libraires. En revanche je relirai Cécile Coulon, j’avais bien aimé un autre titre et sa réputation n’est plus à faire. Je ne pense pas du tout qu’elle soit usurpée, mais plutôt qu’il y a comme un goût d’inachevé dans ce roman.

    • missycornish dit :

      J’ai l’impression que les avis sont souvent mitigés concernant ce roman. Pour ma part, j’ai éprouvé de la frustration en le lisant. J’en attendais peut-être un peu trop en le lisant. Hâte de lire ton billet.

  3. Chicky Poo dit :

    Ah ben zut ! J’étais curieuse, mais entre ton billet et ma collègue qui m’a dit à peu près la même chose que ce que tu en dis, je pense que ce ne sera pas dans mes priorités ^^

  4. Hilde dit :

    C’est décevant et d’autant plus frustrant quand tous les ingrédients sont présents. 😦 La médiathèque ne l’a pas ajouté dans ses achats donc, c’est mal parti pour que je me le procure rapidement. La couverture m’intriguait aussi.

  5. alexmotamots dit :

    Tu me confortes dans mon choix de ne pas le lire.

  6. cora85 dit :

    Ah, zut, dire que j’étais tentée de l’acheter au tabac-presse ce matin…Bon, je l’emprunterai en médiathèque l’un de ces jours.
    Bonne fin de semaine !

  7. Syl. dit :

    Mince… c’est dommage.

  8. Marjorie de Bazouges dit :

    C’est certain je passerai mon tour… Pas de temps à perdre avec de telles bêtises.

  9. rachel dit :

    Oh zut alors…bon alors next….;)

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