Crimson Peak

Crimson-Peak-Movie-Poster-2Edith Waring, romancière en herbe incomprise de la petite bourgeoisie new-yorkaise du XIXème siècle, comble ses journées d’oisiveté en s’attelant à la rédaction de nouvelles fantastiques, des histoires frissonnantes de fantômes, qui ne trouvent malheureusement pas grâce auprès des maisons d’édition, plus friandes de littérature sentimentale, un style qui semble à son grand regret faire davantage fureur chez la gente féminine. La jeune femme, entêtée, aspire pourtant à gagner son indépendance en devenant une écrivaine illustre à l’instar de son principal modèle, Mary Shelley, pour qui elle voue une admiration fervente. Mais ses grands projets d’écriture – tout comme ceux de célibat – sont finalement chamboulés lorsqu’elle rencontre Thomas Sharpe, un séduisant aristocrate britannique sans le sou, au charme redoutable, pour lequel son cœur chavirera. Cette soudaine idylle ne plait guère au père de la jeune femme. Les mains délicates de ce noble personnage aux vêtements élimés ne lui inspirent que du mépris. Il n’apprécie pas non plus sa sœur, Lady Lucille, une pianiste virtuose qui l’accompagne à chacun de ses déplacements. A la mort subite de son père, Edith prendra une décision irrévocable qui bouleversera à jamais sa destinée : celle d’épouser Thomas Sharpe malgré les avertissements de son entourage et de s’embarquer avec lui pour la vieille Europe. Là-bas, en Angleterre, l’attend la demeure familiale délabrée des Sharpe, Crimson Peak, un manoir vétuste, juché au milieu de terres arides qui semblent abriter de terribles secrets. Que dissimulent vraiment ses murs pourris par l’humidité et le passage impitoyable du temps ? Edith le découvrira bien vite à ses propres dépens…

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J’attendais avec une impatience fébrile la sortie en salles obscures de ce film de Guillermo del Toro. Ce long-métrage puise en effet sa principale source d’inspiration dans l’adaptation hollywoodienne de Dragonwick (Le château du dragon), un roman gothique américain d’Anya Seton que j’affectionne particulièrement. Bien qu’il présente quelques faiblesses d’écriture, le scénario est assez bien ficelé. Le réalisateur a su, tout en respectant les codes de ce genre, apporté une petite touche de modernité au film. Les décors sont aussi somptueux tout comme les couleurs des étoffes que porte chaque protagoniste. La robe de Lady Lucille, d’un rouge écarlate, est splendide. J’ai ainsi trouvé la photographie magnifique. Il est regrettable cependant que le réalisateur n’ait pas corrigé ses travers, cette tendance à verser inutilement dans le gore. Certaines scènes sont de ce fait d’une brutalité insoutenable. Par ailleurs, elles n’apportent rien à l’intrigue. Au contraire, ces passages violents souvent déplaisants plombent l’ambiance du film. A mon sens, le réalisateur a saboté son propre travail, ce qui est regrettable car ce film aurait pu devenir un chef-d’œuvre du genre à l’instar de Sleepy Hollow de Tim Burton, un film d’épouvante devenu aujourd’hui culte. Et pourtant, j’avais relevé quelques éclairs de génie du réalisateur mexicain comme cette incroyable trouvaille consistant à planter son décor sur une ancienne carrière d’argile. En hiver, la terre prend une teinte rouge qui donne l’impression désagréable que le sol est inondé de sang. Ce phénomène étrange renforce ainsi un peu plus le caractère fantasmagorique du manoir. Sa façade menaçante, une silhouette sombre et anguleuse faite d’un empilement de tours tarabiscotées, est admirablement bien restituée.

J’ai également noté de multiples références culturelles et littéraires. La demeure est infestée d’insectes, et des papillons gigantesques viennent ainsi réchauffer leurs ailes aux flammes vacillantes des chandeliers. Ce détail rappelle étrangement les nouvelles macabres d’Edgar Allan Poe. Le jeune baronnet, exploitant d’argile ambitieux, travaille aussi d’arrache-pied dans un atelier étrange où il fabrique parfois des jouets mécaniques tels que des pantins articulés aux visages inquiétants. Cet atelier semble tout droit sorti des contes d’Hoffman. Enfin, la machine qu’il a conçue dans le but de forer la terre d’argile est un clin d’œil évident au Steampunk, ce genre littéraire mêlant avec habileté la science-fiction à l’ère industrielle de la fin du XIXème siècle qui utilise des machines à vapeur futuristes dans un décor décalé, ici victorien. Cette idée brillante m’a grandement plu. L’intrigue se déroule d’ailleurs durant l’âge d’or industriel américain. Enfin, si les fantômes existent bel et bien dans ce film d’épouvante, ils ne sont néanmoins pas au cœur de l’intrigue et servent avant tout de prétexte pour accentuer l’atmosphère lugubre de Crimson Peak. Le réalisateur est clair sur ce point : « Ce n’est pas un film de fantômes, c’est un film avec des fantômes ». Pour ma part, je leur ai préféré les vivants, et en particulier ce frère et cette sœur en parfaite symbiose, qui vivent à l’écart du monde. Ce couple énigmatique évoque avec maestria la société aristocratique européenne en délitement, une classe sur le déclin incapable de résister à l’ascension fulgurante du progrès américain. Malgré la lente décrépitude de leur propriété, cette famille désargentée et décadente tente coûte que coûte de conserver son rang.

Bien entendu, Thomas Sharpe reste mon personnage masculin favori. A l’image de Rochester de Jane Eyre, ce baronnet romantique cache un lourd fardeau. Cet homme torturé est inexorablement  rattrapé par les fantômes de son passé. Comment résister au charme ravageur de Tom Hiddleston ? L’acteur campe un personnage ténébreux des plus séduisants. J’ai aussi beaucoup aimé l’histoire d’amour impossible d’une tristesse désespérante, présente en filigrane. Ainsi, Crimson Peak s’intéresse davantage aux passions interdites et la rédemption qu’aux histoires de revenants.  Bien plus qu’une maison hantée, cette demeure insalubre reflète l’âme putride de ses habitants. Quant à Edith Waring, elle présente les caractéristiques essentielles d’une figure romanesque, bien plus combative que ces héroïnes de papier trop virginales et vulnérables à mon goût. Depuis sa tendre enfance, Edith Waring possède le don de converser avec les esprits disparus. En somme, cette femme peu farouche incarne parfaitement son époque tout comme le milieu dont elle est issue, la société américaine arriviste des années 1900. Mais la palme du personnage le plus fascinant revient tout de même à Lady Lucille, cette femme démente glaçante, prête à tout pour conserver l’homme qu’elle aime. J’ai trouvé sa personnalité très dérangeante.

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En bref : j’ai succombé à mon tour à l’attirance magnétique de cet étrange manoir. D’un esthétisme remarquable, ce film où perce malheureusement parfois une violence injustifiée, est malgré tout une belle réussite. Guillermo del Toro associe en effet avec brio la romance gothique anglo-saxonne au style baroque hispanique, un cocktail détonnant et surprenant qui fonctionne pourtant ici à merveille. Crimson Peak, un conte de fées macabre se clôturant inévitablement en cauchemar, vous fera assurément frissonner. Vous voilà prévenus !

La bande-annonce du film:

Ma troisième participation au challenge Halloween.

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Cet article a été publié dans Chronique diabolique 2015, Cinéma. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

24 commentaires pour Crimson Peak

  1. Je l’ai vu hier soir : GENIAL !!!

  2. Bonjour! j’arrive par ici et je note cette réf de film qui a l’air vraiment captivant…

  3. M de Brigadoon Cottage dit :

    Effectivement la bande annonce est très belle, mais l’idée des scènes de violence me rebute. Je ne supporte plus cette montée en puissance de la violence gratuite qui pour moi s’apparente au simple voyeurisme.

  4. Sybille dit :

    Ce film me tente beaucoup !!

  5. Jo dit :

    Je n’ai pas été jusqu’au bout de ta critique car j’ai peur d’en apprendre trop : je vais le voir ce soir au ciné ! Je te dirai comment je l’ai trouvé ^^ Tu parles de passages violents et gores, j’espère que je ne passerai pas les 3/4 du temps à me cacher les yeux derrière les mains ^^ J’ai hâte d’apprécier la belle photographie du film. A paris, c’est l’affiche qui ma donné envie d’aller voir le film, la photo est si bien faite.

    • missycornish dit :

      Pas de soucis, tu me diras ce que tu en penses après alors. Je serais curieuse de connaître ton avis sur le film. Moi j’ai beaucoup aimé. J’adore les acteurs. Les affiches du film sont superbes.

      • Jo dit :

        ATTENTION SPOILERS !!
        Ça y est, j’ai vu le film ! Ma note : 16/20.
        Les + : une intrigue plaisante qui rappelle plusieurs livres connus comme Jane Eyre ou Barbe Bleue (des pièces de la maison sont interdites, Thomas Sharpe a eu plusieurs femmes, toutes mortes…). Des beaux costumes en particulier les robes de ces dames 😛
        Le personnage de Lucille se démarque du lot, je trouve. Je l’ai trouvée particulièrement effrayante lorsqu’elle se lance à la poursuite d’Edith dans les couloirs du château, ses manches bouffantes et sa longue robe lui donnant presque une allure de créature ailée.
        Les – : Comme le dit Edith, ce n’est pas une histoire de fantômes mais une histoire avec des fantômes. Ceux-ci sont moins effrayants que certains humains, non …? Ça ne m’a pas gêné du tout. Ce qui m’a un peu déçue cependant, c’est que je me suis vite rendue compte qu’à chaque fois qu’Edith est couchée, elle voit immanquablement un fantôme ! A croire qu’ils font exprès de choisir ce moment-là pour se manifester. Autre procédé qui se répète, l’effet de peur est souvent crée par la surprise : d’un seul coup, le fantôme va faire un grand bruit qui fait sursauter plus d’un spectateur dans la salle (en fait moi la première^^). Ce qui fait que je pouvais anticiper les moments où j’allais avoir peur.
        Dans tous les cas c’est un film que je recommande pour le divertissement qu’il apporte.
        Deux petites choses m’échappent : on apprend que Thomas n’a jamais couché avec ses femmes précédentes, mais l’une d’elle a pourtant eu un bébé. Tu m’éclaires ? 😉 Et deuxième question, l’un des enregistrements d’une des précédentes femmes dit « trouvez mon corps pour que je puisse reposer en paix » ou quelque chose comme ça : mais son corps n’a pas été trouvé, si ?
        Voilà, bisou !!! Au plaisir de repartager sur un autre film 😉

        • missycornish dit :

          Tu as entièrement raison. Il faut absolument que je vois le film à nouveau. Attention spoiler: le bébé est en fait le fruit de leur passion clandestine. C’est l’enfant de Lucille et de Thomas. Par contre je ne me souviens plus si le corps de la malheureuse est finalement trouvé ou non. Je n’ai pas aimé le plantage de couteau dans le visage. J’ai trouvé que c’était moyen. C’est vrai que le film ressemble aussi à une transposition moderne de Barbe-bleue. As-tu trouvé aussi ce film violent?

  6. J’aimerais bien découvrir l’ambiance de ce film, cet étrange manoir et ses personnages. Tous les ingrédients me conviennent aussi. Je ne vais plus très souvent au cinéma alors je prendrai mon mal en patience.

  7. Lili dit :

    Je maudis la Creuse de n’avoir qu’un seul cinéma et ce dernier de ne diffuser que des films en VF… Du coup, il me faudra attendre encore un peu avant de découvrir ce film :/

    • missycornish dit :

      J’ai fait de même. J’ai pu le voir en version originale à Caen aux rives de l’Orne. Sinon, je ne l’aurai pas vu en français, cela aurait été bien dommage de ne pas entendre la vraie voix sexy de Tom Hiddleston…

  8. cora85 dit :

    J’aime ce film, en particulier le fait qu’Edith ne soit pas une chiffe molle, lol !
    J’ai également apprécié les décors et la touche de modernité à laquelle tu fais référence.
    Bonne semaine, à bientôt !
    Ondine

    • missycornish dit :

      Merci Ondine! J’aimais bien cette héroïne, une forte tête qui prend toujours les devants. Et puis, l’actrice est excellente, je l’avais déjà repérée dans Jane Eyre.

      • cora85 dit :

        Oui, je l’ai trouvé parfaite dans ce rôle, alors que dans ses précédents films, je la trouvais un peu mono-expressive.
        Ondine

  9. J’ai vu la bande-annonce et j’ai très envie de le voir, même si ce n’est pas ce que je vois d’habitude !

    • missycornish dit :

      Je n’aime pas d’habitude ce réalisateur. Le labyrinthe de Pan ne m’avait pas plus du tout. Je trouvais le film trop violent. Mais cette bande-annonce était prometteuse. J’adore le genre gothique alors comment résister?

  10. maggie dit :

    Je l’ai vu hier et je tout à fait d’accord avec toi : les scènes gores gachent le film, elles auraient pu être plus subtiles…

  11. Chicky Poo dit :

    HUuuuumm !! Il FAUT que je mette la main dessus, tous les ingrédients sont réunis pour mon plus grand plaisir !!! Merci de la découverte !!

On papote?