Ces deux dernières semaines, ayant été prise d’une flemme aiguë, je n’ai pu coucher sur le papier (ou devrais-je dire sur le clavier !) mes dernières réflexions et impressions personnelles plus tôt. Mais si fait, me voilà à nouveau en forme et pleine de tonus, bourrée de vitamine C, prête pour poursuivre la chronique de mes dernières lectures ! Comme vous le verrez malgré mon rythme de travail dilettante, je n’ai tout de même pas chômé (la position allongée a d’ailleurs facilité la tâche ! J’ai pu bouquiner à tête reposée)
J’ai lu Dom Juan le mois dernier, dans le cadre de mes études littéraires. Malgré mes réticences à me replonger dans une nouvelle œuvre de Molière (je raffole peu de son humour grotesque, garde un souvenir exécrable de l’École des femmes tout comme du Misanthrope et supporte modérément l’Avare, seulement sur l’écran et lorsqu’il prend les traits ahuris de Luis de Funes). Cette pièce de théâtre atypique s’est pourtant finalement révélée être une lecture plutôt agréable ! Il est vrai que ce personnage mythique de la littérature me fascine toujours autant et semble être encore un sujet intarissable de nos jours. J’avais parcouru durant mon adolescence la mort de Don Juan de Patrick Poivre d’Arvor, inspiré de l’œuvre de Byron, un roman qui m’avait beaucoup plu à l’époque, et était tombée littéralement sous le charme de Johnny Deep (qui ne l’est pas me direz-vous !) dans une version cinématographique improbable mais délicieusement loufoque, intitulée Don Juan de Marco (une surprise vous attend à la fin de ce billet). J’ai d’ailleurs également hâte de découvrir la version théâtrale d’Alexandre Dumas fils, Don Juan de Marana que ma sœur la Gueuse a gentiment accepté de me prêter.
L’histoire de Don Juan est connue de tous (on notera l’originalité de l’altération du titre par Molière « don » devient « dom » issu de l’étymologie latine dominus, ainsi « dom » ne fait pas référence au titre de noblesse comme dans Don Quichotte mais plutôt à l’appellation distincte de « maître »). Dom Juan est un séducteur invétéré, véritable coureur de jupon qui ne peut s’empêcher de défier la religion comme les convenances. Il accumule toujours de nouvelles conquêtes féminines pour les abandonner une fois séduites, sans se préoccuper des conséquences qu’entraînent ses nombreuses infidélités. Son valet Sganarelle, le sermonne sans cesse espérant, à grand renfort de discours moralisateurs, pouvoir un jour le remettre enfin sur le droit chemin. Mais Dom Juan est un libre-penseur libertin qui n’a nullement l’intention de se plier aux exigences de la société. Également sourd aux supplications de son père Dom Carlos et de son épouse Elvire qu’il a cruellement délaissée, le courtisan est irrévocablement voué à une mort certaine, prix de son existence dépravée.
Écrite en 1665, cette tragi-comédie pathétique rédigée exceptionnellement en prose fit un véritable tollé lors de sa première parution. La pièce de théâtre fut d’ailleurs condamnée pour impiété. Ayant offensée les bonnes mœurs de son temps, elle ne sera autorisée qu’après avoir subit une épuration soigneuse conforme à la censure de l’époque. La personnalité de Dom Juan avait été savamment forgée par Molière, une création à mes yeux audacieuse pour son contexte historique, le XVIIème siècle, époque encore obscure. Cette création est d’autant plus réussite qu’elle fut troussée dans l’urgence, Molière ayant répondu à une commande pressante lorsqu’il écrivit la pièce (d’où le choix de l’écrire en prose plus aisée).
Dom Juan affirme sa liberté mais également sa volonté d’être généreux ou non, de donner aux nécessiteux parce qu’il le souhaite et non parce qu’il craint le « courroux céleste » (Molière ne se risque jamais à évoquer explicitement « Dieu », il en fait toujours référence par l’intermédiaire de métaphores). Le libre-arbitre de Dom Juan suscite chez le spectateur tout comme le lecteur moderne l’admiration pour ce personnage dénué de tout sentiment hypocrite car s’il est provocateur, ce dernier n’est pas pour autant foncièrement mauvais. Il ne fait qu’affirmer sa liberté en faisant preuve de courage tout comme d’une certaine lucidité. S’il est bien un coquin aux yeux de la société, il succombe parfois à des élans de générosité spontanés et en particulier lorsqu’il s’agit de secourir les demoiselles en détresse tout comme tout individu en position de faiblesse, l’exemple du pauvre pour qui il éprouve de prime abord de la pitié.
Dom Juan est un personnage transgressif et à l’apparence surfaite. Il est donc excessif que ce soit dans son accoutrement, ses manières tout comme ses actions. Ce noble manque à tous ses devoirs, et se plait à bafouer les sacrements du mariage. C’est un impie qui n’hésite d’ailleurs pas à se moquer des morts, ce qui le conduira à sa propre perte. Dom Juan provoquera en duel le commandeur qui succombera de ses blessures. A sa mort, le beau-parleur persistera à souiller la mémoire du malheureux, au risque de s’attirer le châtiment divin. Il reste donc malgré son caractère ridicule une figure ambiguë presque diabolique lorsqu’il transgresse la morale religieuse. Molière se plait à brouiller les pistes, faut-il donc admirer le caractère de Dom Juan ou le mépriser ? Au fond, ce « héros » reste profondément humain et annonce déjà l’évolution de sa société. C’est un rebelle pascalien qui aime se confronter au ciel tout comme aux institutions religieuses. Cependant, Molière le punira pour son impunité, Dom Juan sera finalement emporté dans les flammes de l’enfer par l’ange de la mort, apparu sous les traits de la statue de marbre du commandeur, celle qui l’avait pourtant auparavant prévenu des risques que causerait son impudence démesurée. En digne personnage picaresque, Dom Juan ne tirera aucune leçon de ses expériences passés. Il semble que Molière se soit rétracté quand au dénouement de sa pièce. Toutefois, si la morale reste sauve, la punition divine de Dom Juan, cette fin risible et expéditive reste bien trop farfelue pour être convaincante. J’avoue avoir eu du mal à ne pas sourire devant l’ironie à peine dissimulée de Molière. Cette fin laisse en effet songeur quand à son caractère dévot. Après tout, n’a-t-il pas lui-même mené tout comme son protagoniste une vie de bohème ?
Le héros de Don Juan ayant beaucoup nourri la littérature classique comme contemporaine, je n’ai pas terminé d’explorer sa personnalité, j’ai encore sous le coude quelques titres que j’aimerais lire en parallèle et notamment ces deux œuvres :
- Don Juan de Marana d’Alexandre Dumas fils
- Don Giovanni/Don Juan de Da Ponta
Peut-être relirai-je aussi:
- La mort de Don Juan de Patrick Poivre d’Arvor.
Et pour les moins courageux qui ne souhaiteraient pas lire cette pièce, je vous conseille tout de même de visionner ce film original que je ne me lasse pas de revoir, avec en prime le beau Johnny!
Le film est ici en entier et en V.O en plus ! (chut je vous ai rien dit !)
Je l’ai lu en Première et j’en garde un très, très bon souvenir… J’avais beaucoup aimé également la réadaptation d’Eric Emmanuel Schmitt (La nuit de Valognes) que j’avais lu en parallèle.
Coucou Marion je ne connais pas cette version!
ok pour Marguerite Duras avec ces deux livres qui se répondent. L’amant aussi pourrait fiare là une trilogie
Ce personnage a également inspiré le grand poète lituanien Oscar Milosz pour sa pièce ou plutôt son Mystère en 6 tableaux : « Miguel Manara ». Ce Don Juan trouvera sa rédemption et la pièce se termine ainsi : » Maintenant je suis seul au milieu des vivants comme la branche nue dont le bruit sec fait peur au vent du soir. Mais mon coeur est joyeux comme le nid qui se souvient et comme la terre qui espère sous la neige. A cause que je sais que toutes choses sont où elles doivent être et vont où elles doivent aller : au lieu assigné par une sagesse qui ( le Ciel en soit loué ! ) n’est pas la nôtre. »
Bonjour Armelle! Bonne mémoire! Je vais bientôt lire Don Juan de Manara de Dumas, maintenant que j’ai enfin terminé Don Juan de Giovani (il ne me reste plus qu’à le chroniquer!)
Une oeuvre de Molière vraiment différente de ce dont on a l’habitude.
Merci pour ce bel article très inspiré ! Je n’ai lue aucune oeuvre traitant de ce personnage mythique, honte à moi ! lol ! Passe un excellent week – end ! Bisous.
un classique que je n’ai pas lu, j’ai vu que tu lisais Marguerite Duras, j’ai hâte d’en connaitre ton « verdict »
Coucou! Je vais bientôt poster un billet dessus mais je voudrais combiner un barrage contre le Pacifique et l’Amant de la Chine du nord car tout deux sont étroitement liés. Pour changer un peu.
La ci darem la mano, Don Giovanni de Mozart. A voir à tout prix pour compléter ta lecture l’adaptation cinématographique de l’opéra.
Hum je vais voir cela! J’ai écouté quelques morceaux sur youtube en regardant un film des années 60 sur Dom Juan.
Molière ! Ah que de souvenirs d’enfance , malheureusement pas toujours bons , c’est un auteur mal aimé parce qu’il fait partie de ces auteurs qu’on nous force à lire . C’est bien de l’avoir remis au goût du jour . Je ne connais pas ce Don Juan et pourtant c’est l’un de mes personnages favori . Cet homme séducteur m’a toujours fasciné et même si il paye au prix fort ses choix, je le trouve courageux et attachant .J’avais adoré le Don Giovani avec Rugiero Raimondi à voir et revoir sans modération . Merci Missy pour ce beau billet . Et c’est sympa de pouvoir voir le film en directe , même si ce n’est pas mon préféré …
C’est vrai que c’est un peu le souci de Molière, je l’ai étudié trop souvent à l’école pour pouvoir aujourd’hui l’apprécié vraiment. Je doute relire un jour L’Avare, l’Ecole des femmes, Le Misanthrope ou même avoir le courage de lire Le Malade Imaginaire.
Pour ce qui est de Don Juan de Marco j’avais trouvé le film drôle et léger. Je viens de visionner une version noire et blanche de Dom Juan sur youtube avec Claude Brasseur datant de 1965. Très bien.
Dom Juan : La pièce sans doute la moins comique de Molière. Malgré de nombreuses situations truculentes, il y a aussi beaucoup de pathétique sous le manteau.
Ce que j’avais apprécié fortement, c’est de découvrir un Dom Juan finalement assez éloigné du simple coureur de jupon que la postérité en a fait. Bien sûr, il court les femmes mais ce n’est finalement qu’une expression de sa libre pensée car tel est Dom Juan : une figure du libertinage dans son sens le plus large, un être en réaction, en opposition par excellence – trop, sans doute, car son extrémisme le perdra, comme il perdra Valmont et Merteuil sous la plume de Choderlos de Laclos.
Merci encore une fois pour ton passionnant billet, ma Missy ! Tu nous laisses parfois longtemps sans te lire mais c’est toujours pour te retrouver avec plus de plaisir !
Merci Lili! Ton commentaire me fait chaud au coeur! J’essaie de revenir sur la blogosphère mais je suis toujours très lente à écrire, il faut que l’info digère d’abord pour que je puisse en parler. Je suis d’accord avec toi c’est avant-tout un libre-penseur et c’est vrai qu’il est également en ce sens comme Valmont même si ce dernier est mort en revanche d’amour, il s’en est mordu les doigts. Je trouvais cette idée originale le libertinage, comme tout romantique il refuse la jalousie mais finalement l’éprouve comme n’importe qui. Cela rappelle aussi Jules et Jim ce sujet.
Pour revenir à Dom Juan je trouve qu’il est dommage que Molière ne soit pas allé au bout de son idée, ai rendu sa fin plus dramatique.
Tout n’est pas que farce chez Molière ( comme tu le rappelles au début) même si le malade imaginaire joue sur les grosses ficelles du comique, il y a aussi le Tartuffe qui est une excellente comédie pas du tout vaine ni grossière et que je préfère à dom Juan…. !
Non tout n’est pas que farce, la preuve avec cette tragi-comédie. J’ai vu Tartuffe au théâtre avec mes élèves l’année dernière à Exeter mais avec des acteurs anglais, j’avais trouvé que l’interprétation manquait de subtilité et de finesse. Ils avaient poussé davantage encore la caricature, cela en était ridicule. Même si les acteurs jouaient bien et respectaient le texte, on était loin de la mentalité de la pièce d’origine.Dommage, j’en avais discuté avec une collègue de travail, également française et son avis était aussi mitigé.
J’ai récupéré (lol dans une corbeille à papier de l’école pour ne pas dire poubelle!) une ancienne copie du Tartuffe de Molière datant de 1949. Je vais la relire tiens.Le livre est tout petit!
Je l’ai étudié à la fac et j’avais adoré.J’aime ce personnage car il est complexe (contrairement aux purs personnages de comédie de Molière). On ne sait jamais s’il rit ou non, s’il se prend au sérieux. Marcel Bluwal l’avait mis en film, c’est un peu vieux mais très fidèle à la pièce : http://www.youtube.com/watch?v=RbDGdlcLJLU
Bonjour Sue, Je vais aller voir ton lien, je sais qu’une adaptation de la pièce a cartonné dans les années 40 redonnant ses lettres de marque à Dom Juan mais je ne l’ai pas encore vu (peut-être y a t-il eu une autre adaptation inspirée elle-même de la pièce de 1947?)
Merci pour le lien
Je suis allée voir ton lien et suis en train de visionner l’adaptation, c’est vraiment bien! Merci encore pour le lien. Les acteurs français jouaient encore bien!