Marie-Antoinette

Marie-Antoinette Stefan Zweig imageCertaines lectures particulièrement denses nécessitent une longue période de gestation. Cette biographie remarquable frôlant l’excellence ne déroge pas à la règle. Il m’a fallu un certain temps pour la « digérer ». Soyons francs, lorsqu’on s’attaque à une œuvre d’une telle envergure, il est souvent difficile de se replonger dar dar dans une nouvelle lecture. Marguerite Yourcenar si érudite soit-elle n’a pu autant me captiver. Son arrogance transparaît d’ailleurs trop dans ses écrits et Les Mémoires d’Hadrien qui initialement me passionnaient par leur authenticité historique m’ont vite paru pompeux. J’ai d’ailleurs momentanément délaissé ce roman trop ardu et un tantinet soporifique (les aficionados me cloueront sans-doute au pilori! Qu’importe, la lecture ne devrait-elle pas être avant tout un plaisir subjectif ?).

A la différence de Yourcenar, Zweig sait que s’il souhaite conserver l’attention de son lecteur jusqu’à la dernière page, il ne doit pas l’accabler de détails inutiles. Et il faut l’avouer, l’auteur réussi cet exercice stylistique avec brio ! Point de lenteurs, d’ennuis et pourtant le but est bien ici didactique. Ce livre est sans conteste l’œuvre littéraire la plus passionnante qu’il m’ait été donné de lire depuis ces derniers mois.

Dans cette biographie classique, Stefan Zweig nous dévoile le fruit de longues recherches assidues consacrées à la reine Marie-Antoinette, une figure historique à la beauté funeste. En bon autodidacte et étant un fervent défenseur de la méthode de vulgarisation, l’écrivain a tenté de relater de manière objective et concise le parcours de la reine, de son ascension fulgurante au pouvoir, jusqu’à sa chute impitoyable. Ce pari littéraire est largement réussi ! Cette étude d’une finesse psychologique extraordinaire est d’autant plus crédible qu’elle s’appuie sur la correspondance de nombreux personnages historiques tels que la prude mais néanmoins admirable impératrice d’Autriche, Marie-Thérèse, la mère de Marie-Antoinette ou le séduisant et dévoué Comte Fersen qui aurait été son amant.

A travers ce portrait poignant, Stefan Zweig lève le voile sur ce personnage féminin trop méconnu de l’Histoire. Vilipendé par les uns, idéalisé par les autres, l’auteur lui restitue finalement un peu de son humanité. Victime d’une propagande révolutionnaire peu scrupuleuse, Marie-Antoinette a longtemps servi de bouc-émissaire à l’aristocratie parisienne. Certes, cette évaporée ne contribua pas à améliorer le sort du peuple français affamé mais Stefan Zweig nous rappelle qu’elle ne fut pas l’unique responsable de la Révolution française. Les études historiques parfois trop synthétisées donnent d’ailleurs souvent une image tronquée voire orientée de la réalité. Sans prendre parti, l’auteur autrichien rejette cette vision trop manichéenne et simpliste : les gentils d’un côté, un peuple à bout, le roi et la reine, des monarques tortionnaires de l’autre. Louis XVI et Marie-Antoinette, tout deux incompétents et inconsidérés méritaient-ils pour autant l’échafaud ? Certes non !

Marie-Antoinette fête

Mettant en lumière les mentalités de cette époque, le romancier a préféré s’intéresser à leur psychologie plutôt qu’aux faits. Le lecteur découvre ainsi que Marie-Antoinette ne fut ni une furie aux mœurs douteuses ni une sainte mais seulement une reine dramatiquement butée et aux ambitions bien médiocres. En somme, celle qui fut baptisée par le peuple mécontent « Madame Déficit », n’était qu’une femme trop individualiste et moderne pour son époque. Peu encline à l’étiquette monarchique et éprise d’indépendance, Marie-Antoinette fut projetée sur le devant de la scène politique bien trop tôt. Rappelons qu’elle n’est encore qu’une enfant lorsqu’elle épouse Louis XVI ! Cette dernière mariée à un jeune homme débonnaire maladroit et à la timidité maladive ne consommera son union que sept années plus tard. Cette expérience malheureuse figera d’ailleurs la figure royale en époux impuissant et indécis, une image risible qui le suivra jusqu’à sa mort. De ce fait, sa vie d’épouse frustrée s’est dissoute dans les frivolités. La jeune femme que la cour ennuie, n’a qu’un désir fuir la monotonie de son existence dans sa retraite, le petit Trianon, où elle a établi son jardin secret. C’est dans ce lieu paradisiaque qu’elle reçoit sa propre société triée sur le volet incluant notamment le cercle des Polignac, des aristocrates à la réputation sulfureuse, vautours manipulateurs et arrivistes qui profitent de sa générosité et de sa solitude.

marieantoinette et Louis

Ces fréquentations peu recommandables terniront un peu plus la réputation de la reine déjà vacillante depuis son mariage tardivement consommé. De prime abord accusée de frigidité, la voilà finalement perçue comme une dévergondée. La cour tout comme le peuple avides de scandales lui prêteront par la suite toutes sortes de déviances, entre autres, d’entretenir des relations saphiques avec son amie, la séduisante Polignac, de pratiquer de multiples orgies et même d’abuser de son propre fils, le jeune dauphin. Marie-Antoinette trop fière et aveuglée par un orgueil démesuré n’a que faire de ses rumeurs ridicules. S’intéressant peu aux préoccupations politiques, elle préfère laisser cette tâche ingrate à son doux mari. Mais le peuple gronde et ne lui pardonne plus ses caprices excessifs de plus en plus coûteux. Pour la condamner, on n’hésite pas alors à grossir jusqu’à la caricature ses travers et une pluie de pamphlets pornographiques s’abattent bientôt sur elle dans le but de détruire un peu plus son image.

Stefan Zweig dément ainsi dans cette biographie de nombreux sujets épineux de l’Histoire, beaucoup de mensonges, qui contribuèrent indéniablement à creuser un peu plus la tombe de la reine, telle que cette rumeur éhontée selon laquelle elle aurait lancé cette boutade affligeante aux femmes venues se plaindre devant les portes de Versailles : « S’il n’y a plus de pain, donnez-leur de la brioche ! ». L’auteur revient aussi sur le scandale de l’affaire du collier qui portera le coup de grâce à la reine malgré la preuve irréfutable de son innocence. Abandonnée de tous, y compris de sa propre famille, Marie-Antoinette fera tout de même preuve d’un courage redoutable face à ses bourreaux.

Marie_Antoinette_Execution

En lisant les dernières pages de cette biographie consacrées à la condamnation de la reine, j’ai éprouvé beaucoup de peine pour cette femme ignorante à la destinée tragique. Au final, Marie- Antoinette et Louis XVI furent les esclaves d’un monde dont ils étaient pourtant les monarques, des pions malléables qui n’aspiraient qu’à la normalité et qui se retrouvèrent malgré eux au cœur d’un complot bien trop complexe pour leur entendement. Dépassés par les événements, ils finiront tout deux sur la guillotine comme tant d’autres incrédules.

Une chose est certaine, en refermant ce livre, vous ne verrez plus jamais cette reine déchue du même œil… Mais si fait, je ne voudrais pas vous ôter le plaisir délicieux de découvrir par vous-même ce chef-d’œuvre d’écriture. Une biographie instructive, passionnante et pertinente à ne surtout pas manquer ! Je la relirai sans aucun doute avec plaisir !

Marie-Antoinette_posterUn dernier mot sur le film de Sofia Coppola qui semble hautement inspiré de l’œuvre de Stefan Zweig. J’ai eu le regret de ne pas voir figurer le nom du romancier autrichien dans le générique de fin ni les autres sources qui ont permis la rédaction du scénario. Or, la personnalité de Marie-Antoinette dans le film m’a paru avoir été calquée sur celle que propose Zweig dans sa biographie… Même si cette adaptation cinématographique est une belle réussite, j’ai tout de même trouvé que cet oubli manquait un peu de reconnaissance envers Zweig qui a, il faut bien l’admettre, effectué un travail de recherches titanesque pour nous livrer cette étude psychologique brillante.

 

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15 commentaires pour Marie-Antoinette

  1. La Gueuse dit :

    Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi on a fait une révolution en 1789 pour rétablir quelques temps plus tard un nouveau roi. Ils ne pouvaient pas attendre 1830 pour faire une vrai Révolution? Vaste mascarade… Ils ont tué un symbole qui se trouvait être un brave type comparé aux saligauds qui l’ont précédé. Il n’a pas commis la moitié des méfaits que faisait subir le Grand roi soleil à son peuple (mis en esclavage pour la construction de Versailles…. Entre taxes et manutention.), pourtant l’histoire se complaît à ne retenir que lui dont la fortune a été grande (une fois qu’il l’a volée à son intendant des finances) bien plus que l’âme qui était bien pourrie. Il y a quelque chose d’un peu injuste là-dessous. Marie-Antoinette quant à elle a souffert de sa légèreté autant que de la xénophobie (historique, que plusieurs révolutions et plusieurs démocraties n’ont pas altérée) des français.

  2. alexmotamots dit :

    Comme je te comprends : je n’ai jamais terminé les mémoires d’Hadrien.

  3. Tasse de culture dit :

    J’avais lu la biographie de Marie Stuart de S. Zweig et j’avais beaucoup aimé. Du coup, lire celle de Marie-Antoinette faisait partie de mes projets. Ton billet me donne encore plus envie de me lancer. Il ne me reste plus qu’à me le procurer. J’espère aimé autant que toi ce livre. D’ailleurs, je ne savais pas qu’il avait largement inspiré le film de Sofia Coppola.

    • missycornish dit :

      Je ne sais pas si Sofia Coppola s’en est inspirée mais j’ai trouvé que la psychologie était dépeinte à la manière de Stefan Zweig, comme si elle avait lu le roman et en avait été influencé.

  4. maggie dit :

    J’avais lu cette bio et tu en fais une très belle analyse mais j’avais trouvé regrettable que l’auteur ne marque pas ses sources…

  5. Armelle dit :

    Je suis tout à fait d’accord avec toi Amélie, ce livre est admirable, d’une écriture magnifique et d’une si fine psychologie. Il faut dire que la cour de Louis XV était austère à l’époque de Marie-Antoinette.Le roi était âgé et fatigué,la reine assez bigote, son fils et ses filles aussi et la jeune dauphine fut reçue assez froidement car visiblement trop effrontée et point assez pieuse au goût de sa belle-mère, malgré les conseils de sa mère, qui tentait de veiller sur elle depuis son royaume d’Autriche. Marie-Antoinette a eu beaucoup de circonstances atténuantes, d’autant que son mari n’eut pas la sagesse de se rapprocher de son peuple, de visiter son pays et vécut isolé avec sa cour dans une surdité coupable. Marie-Antoinette n’était donc au courant de rien et a vécu dans une illusion permanente. Le réveil fut terrible et là elle a dévoilé une dignité admirable, celle d’une grande reine. Sa mort est bouleversante et fort bien racontée par Zweig qui a trouvé les mots justes, capables de rendre cette longue agonie édifiante, sans jamais verser dans le pathos. Par contre, je n’ai pas trouvé que le film était si proche que cela du livre, bien que je l’aie apprécié. Coppola s’est surtout inspirée des ressemblances avec le destin de la princesse Diana.

  6. Lili dit :

    Je te comprends pour « Mémoires d’Hadrien » ; je me suis moi-même un peu essoufflée à force de le lire et je l’ai fini en diagonale. Indéniablement un chef d’œuvre mais qui n’est pas de tout repos…
    Pour ce qui est de Zweig biographe, plusieurs amis historiens m’ont tout de même conseillé de prendre ses dires avec du recul : il fait avant tout un travail de romancier. Malgré ses recherches et beaucoup d’éléments biographiques avérés, il vaut mieux ne pas prendre au pied de la lettre historique ses propos car il n’en reste pas moins qu’il donne sa version romanesque du personnage. En tout cas, c’est principalement ce qu’on m’avait dit de sa « Marie Stuart » mais je pense que c’est valable pour ses autres bio de personnages historiques.
    En tout cas, même si je suis sûre que c’est passionnant, je préfère le goûter dans un travail 100% romanesque en attendant d’avoir tout épuisé dans ce registre ^^

  7. grigrigredin dit :

    J’ai bien aimé le film mais je ne savais pas qu’il était largement inspiré des travaux de S. Zweig. Comme quoi, ils auraient pu le préciser… En tout cas tu sembles avoir été marquée par cette lecture !

    • missycornish dit :

      C’était une très belle lecture et j’avoue que cela fait du bien de temps en temps d’avoir un vrai gros coup de coeur. Personellement je ne sais pas si Sophia Coppola s’est inspiré officiellement ou pas de Zweig mais moi en lisant le roman et après avoir visionné le film dans la foulée, j’ai trouvé le lien flagrant. Pratiquement tout le film suit la trame et la psychologie de la biographie sauf le dénouement. Coppola n’évoque pas l’exécution.

  8. cora85 dit :

    J’ai très envie de lire ce roman depuis longtemps ! J’ai toujours été touchée par cette reine, sans savoir pourquoi…
    Je suis plus mitigée en ce qui concerne le film : bons acteurs, belle photographie et quelques trouvailles visuelles mais j’ai trouvé que le film finissait par sombrer dans l’ennui !
    Bon week-end !
    Bisous !
    Ondine

    • missycornish dit :

      Salut Ondine! Je trouve que la fin du film était subtile, le choix de ne pas montrer l’exécution de la reine. C’est vrai que certains passages sont lents mais je pense qu’ils reflètent bien l’époque et le rythme de vie de la fin du XVIIIème siècle où finalement il ne se passait pas grand chose…

  9. Catherine dit :

    J’ai vu le film il ya plusieurs annees et j’avais bien aime. Donc en gros, si on veut en savoir plus sur Marie Antoinette et qu’on devait lire une bio, ca serait celle ci? Je ne connais pas Stefan Zweig ( de nom si evidement mais je ne l’ai jamais lu jusqu’a present). Je note, je note! Merci!

  10. Mdebrigadoon cottage dit :

    Bien l’article ! Cela me donne envie de lire la biographie …. Je n’ai pas vu le film , mais j’ai visité le Petit Trianon et je me suis dit à l’époque que quelqu’un capable de créer un si bel endroit ne pouvait pas être aussi mauvaise qu’on le disait !!!!!!

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