Belgravia

Bruxelles, juin 1815.

A la veille de la célèbre et sanglante bataille de Waterloo, un somptueux bal est donné chez la duchesse de Richmond. La fête bat son plein tandis que les troupes françaises progressent sur le territoire… Mais l’aristocratie anglaise n’en a cure, au diable les envahisseurs, la saison des bals a débuté, pour rien au monde, on ne manquerait ces mondanités. Parmi la liste prestigieuse des convives, la famille Tranchard, des bourgeois parvenus, a réussi à obtenir une invitation grâce à leur ravissante fille Sophia qui s’est attirée les grâces d’Edmund Bellasis, le meilleur parti du moment. Mais la fête est soudainement interrompue par l’annonce de la bataille de Waterloo qui marquera le retour puis la fin précipitée de Napoléon. Vingt-cinq ans plus tard, les Tranchard qui ont gravi les échelons de la société se sont installés à Belgravia, l’un des quartiers les plus huppés de la capitale, le bastion privilégié de l’aristocratie londonienne. Mais un secret scandaleux est sur le point d’être révélé, menaçant leur ascension sociale fulgurante…

Voilà une lecture aux accents victoriens particulièrement exaltante ! Julian Fellowes nous entraîne dans un tourbillon palpitant d’intrigues d’alcôves où fourmille une galerie de personnages hauts en couleurs et inoubliables. L’auteur dépeint en effet avec maestria l’aristocratie anglaise, cette élite sociale inflexible et extrêmement arrogante qui se voit forcer de côtoyer la classe émergente d’arrivistes bourgeois ayant fait fortune après la défaite de Napoléon. C’est le cas de la lignée des Brockenhurst qui se retrouve malgré elle associée aux Tranchard. J’ai eu bien évidemment une préférence pour cette famille ambitieuse, un couple représentant la nouvelle aristocratie de l’argent et annonçant les prémices de la classe moyenne bourgeoise, avide de réussite mais pourtant étonnamment attachante. L’épouse Tranchard, Anne, une femme lucide consciente du ridicule de son mari, un vulgaire roturier dont la soif constante et démesurée de se distinguer l’agace au plus au point, demeure mon personnage préféré du roman. Cette petite bourgeoise, à la fois éduquée et raisonnable connait certes ses limites mais elle incarne par ailleurs une certaine sagesse d’esprit. Contrairement à son époux James, toujours insatisfait, Anne Tranchard aspire à une vie retirée bien tranquille dans sa demeure de campagne. J’ai également beaucoup aimé le « héros » de l’histoire, Charles Pope, fils adoptif d’un pasteur, symbole du progrès. Ce dernier, travailleur et entreprenant, souhaite s’embarquer pour les Indes afin de se lancer dans l’industrie du coton. Ainsi, si le roman prend pour toile de fond l’ère victorienne, la révolution industrielle se profile déjà doucement à l’horizon. Par certains thèmes, l’œuvre m’a rappelé l’atmosphère des romans sociaux d’Elizabeth Gaskell tels que Nord et Sud, un classique remarquable et incontournable de la littérature britannique. Si le couple Tranchard illustre le dynamisme de cette nouvelle classe, en perpétuel mouvement, en revanche, j’ai trouvé le personnage féminin de Lady Brockenhurst, la mère d’Edmund Bellasis, moyennement sympathique pour demeurer figée dans ses préjugés. Il faut l’admettre, son intolérance et son obsession viscérale pour les seuls titres nobiliaires la rendent aux yeux du lecteur franchement horripilante. Impossible donc de m’y attacher.

Julian Fellowes nous emporte donc dans un carrousel d’intrigues où les commérages en tout genre tout comme les propos vipérins se révèlent des armes tout aussi redoutables qu’un fusil sur un champ de bataille. Entre mensonges et trahisons, l’indiscrétion des domestiques, les faux-semblants et les manipulations féminines, tous les coups sont permis pour arriver à ses fins ! L’auteur dresse de ce fait un portrait savoureux d’une société britannique étriquée, incroyablement conservatrice, et la thématique de la lutte des classes de cette époque est finement abordée. J’avoue que cette lecture addictive m’a tenu éveillée bien des soirées.

L’auteur et scénariste de Downtown Abbey, retranscrit une fois de plus avec brio les us et coutumes de cette époque. La plume fluide et classique du romancier tout comme son ironie débridée distillée avec finesse au fil des pages, m’a par ailleurs rappelé les romans de Jane Austen et en particulier l’atmosphère rocambolesque de Lady Susan. J’y ai également décelé des clins d’œil aux classiques de Charles Dickens, et en particulier dans sa construction littéraire, l’œuvre imitant avec talent le genre du roman historique à tiroirs riche de nombreux coups de théâtre.

En bref : Sous le couvert ludique de la fiction, Julian Fellowes nous fait ainsi découvrir un univers impitoyable à souhait, un vrai régal ! Les multiples rebondissements et l’intrigue plutôt bien ficelés font de ce livre ma lecture coup de cœur de ce mois-ci.

J’ai désormais hâte de voir l’adaptation réalisée pour la télévision par ITV, prévue courant 2020. Le tournage aurait débuté ce printemps ; gageons que si le scénariste s’attèle lui-même au projet, le résultat devrait être aussi prometteur que sa série magistrale Downtown Abbey. En attendant, je prendrai mon mal en patience en me contentant de visionner la suite de cette série qui sortira en septembre prochain sur grand écran.

Voici la bande-annonce :

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32 commentaires pour Belgravia

  1. Shunt dit :

    Bonjour, je découvre ton blog qui est vraiment très bien.J’ai lu Passé imparfait et je n’ai pas adhéré.J’ai aimé le début et la fin mais j’ai trouvé qu’il y avait trop de détails inintéressants tout le long du livre.En revanche, j’ai retenu une repartie qui m’a beaucoup plu et que j’ai par conséquent retenue.Quand le héros dit à son ami qu’une de leur connaissance est amoureuse de lui il se voit répondre: « que veux-tu elle n’est pas la seule à devoir porter cette croix ».Une réplique qui peux toujours servir 🙂

    • missycornish dit :

      Bonjour bienvenu sur le blog! Les billets reviennent dès le mois prochain pour Halloween, je devrais proposer deux trois lectures si j’arrive à y consacrer un peu de temps. Belgravia a en effet quelques longueurs mais c’était tout de même une lecture très divertissante.

  2. ceciloule dit :

    Moi qui suis en licence d’anglais, je pourrais ainsi mêler l’utile à l’agréable… merci de la référence ! ☺

  3. J’avais aussi beaucoup aimé ce roman !! on sent que Fellowes sait y faire et maîtrise son art 🙂

  4. Alexielle dit :

    Il me tentait déjà beaucoup mais là, je ne peux plus passer à côté ^^ Merci pour cet avis !

  5. Syl. dit :

    Tu as été captivée par cette histoire et je suis sûre que je le serai ! C’est noté.

  6. Valou076 dit :

    Oh je ne savais pas qu’une adaptation était en cours de réalisation… c’est enthousiasmant. J’avais bien aimé cette lecture pour l’ambiance du roman, et le plaisir de retrouver les habitudes de Fellowes et son intérêt pour la haute société britannique de l’époque. Je vais regarder plus en détai cette histoire de série 🙂

  7. maggie dit :

    J’ai déjà deux livres de cet auteur dans ma PAL mais pas celui-là. J’espère que ses autres romans sont tout aussi addictifs !

    • missycornish dit :

      Apparemment oui. J’en ai entendu beaucoup de bien. J’ai dû me contrôler pour ne pas lire dans la foulée Passé Imparfait et respecter ma PAL du mois anglais. je lis en ce moment Un manoir en Cornouailles en comparaison le roman me semble insipide…

  8. cora85 dit :

    J’aime beaucoup « Downton abbey ; j’ai également hâte de voir le film !

    • missycornish dit :

      Oui il a l’air génial!!! J’ai vu que le chauffeur rencontrait enfin quelques’un après la mort de Sybille. Il était temps! J’espère juste qu’il sera pas trop court pour développer l’histoire. ça me manque cette série.

  9. rachel dit :

    Et bin oui didonc tu donnes envie de le lire didonc…en plus reference a Nord et sud de Gaskell…ouiii c’est tout un plus…;)

  10. anne7500 dit :

    J’ai beaucoup aimé Passé imparfait et tu me donnes bien envie de lire celui-ci !

  11. Lili dit :

    J’ai lu du bon et du moins bon sur ce roman, du coup je ne savais trop à quel saint me vouer. Mais finalement, tu me donnes plutôt envie ! L’atmosphère est quand même très alléchante. Je note tout de même qu’il y a des longueurs…

    • missycornish dit :

      Pour ma part, Lili je n’ai pas trouvé qu’il y avait vraiment des longueurs, je me suis laissé porter par l’écriture de l’auteur. Je suis actuellement en train de lire Un manoir en Cornouailles et je trouve le style bien plus plat en comparaison. J’ai eu un coup de cœur pour ce roman mais je ne suis peut-être pas objective…. J’ai bien envie d’enchaîner tout de suite Passé imparfait….

  12. DB dit :

    Coucou. Ma critique sur Babelio en août 2017 : « Lu en anglais, alléchée par les critiques, j’ai trouvé qu’il y avait bien des lenteurs, des tergiversations inutiles avant d’arriver à une conclusion en « happy end » finalement assez prévisible. Certains personnages sont cependant assez attachants ou d’autres détestables (comme souhaitait par l’auteur). La langue est accessible, le style agréable. Une bonne lecture d’été ! »

    • missycornish dit :

      Hello! Mince alors tu n’as pas aimé! Les longueurs ne m’ont pas dérangées. J’ai pour ma part englouti ce roman! La happy end était de toute façon courue d’avance. Le dénouement est incontestablement convenu mais j’ai aimé l’ironie distillée au fil des pages, cette critique acerbe de cette société intolérante, motivée par l’appât du gain… Pour le style il était très fluide et de facture classique ce qui une fois de plus m’a plu. Dommage que tu n’ai pas trop adhéré. Peut-être aimeras-tu plus l’adaptation télé?

On papote?