Congé forcé oblige du fait d’une grossesse quelque peu chamboulée, me voilà cloîtrée à la maison, en manque cruel d’évasion. Qu’à cela ne tienne, cette lecture de facture « Western littéraire », une ode aux espaces sauvages, est tombée particulièrement à pic pour me remettre le pied à l’étrier et rédiger de nouveaux billets printaniers.
Publié pour la première fois en 1967, Le pouvoir du chien est un roman américain devenu culte, qui, pour d’obscures raisons, fut durant de nombreuses années, boudé par la critique tout comme par les éditions françaises. Pourquoi donc ce roman magistral est-il resté si longtemps inaperçu ? Il semble que les années 60, ancrées dans un climat social encore particulièrement sexiste, ne pouvait supporter l’idée d’une possible remise en cause quelque peu subversive du mythe de John Wayne, l’incarnation du cow-boy viril et misogyne, considérée jusqu’alors intouchable. Il faut l’admettre, l’auteur n’y va pas avec le dos de la cuillère pour esquinter cette icône… Il aura d’ailleurs fallu attendre le succès d’abord littéraire puis cinématographique retentissant de Brokeback Mountain en 2005 pour ouvrir la voie à ce genre de littérature. Les éditions Gallmeisteir connues pour leurs couvertures rétro nous en proposent donc ici une nouvelle version, avec une traduction exclusive et particulièrement soignée afin de compenser ce mal.
L’histoire prend pour toile de fond la fin des années 1920. Deux frères, célibataires endurcis que tout oppose, tiennent un ranch dans le sud-ouest du Montana. La fratrie vit dans une certaine quiétude routinière depuis que leurs parents se sont retirés de l’exploitation vachère pour s’offrir une retraite bien méritée dans un hôtel luxueux en ville. Phil et George Burbank régentent ainsi l’entreprise florissante d’une main de maître et l’isolement ne leur pèse guère. Leur relation en apparence sereine va pourtant être bouleversée par l’arrivée d’une présence féminine inopportune, la veuve d’un médecin que Phil a poussé au suicide ; Rose est en outre accompagnée de son fils Peter, jeune garçon introverti et un brin précieux. Au grand dam de son frère qui voit en elle une vulgaire intrigante, George s’entiche de la belle éplorée et prend la décision irrévocable de l’épouser. Mais Phil n’a pas dit son dernier mot, la soupçonnant de convoiter la fortune familiale, aussi tentera-t-il de multiples coups bas pour la faire déguerpir…
Voilà un roman excellent et percutant ! Comme quoi, comme le dit si bien le proverbe, c’est encore dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ! Je ne regrette pas d’avoir déniché ce petit trésor d’écriture. Thomas Savage dépeint avec maestria l’Amérique rurale de Steinbeck, un climat rustre où règnent quantité de préjugés (homophobie, racisme prononcé, etc.). Il dissèque également avec panache les comportements humains dans ce qu’ils ont de plus vils, les tendances bestiales et meurtrières tout comme le goût prononcé de l’homme pour la violence. L’originalité de ce livre réside ainsi principalement dans sa construction narrative qui est parfaitement bien rodée. L’auteur a décidé de focaliser l’essentiel de l’intrigue autour d’un protagoniste franchement infâme, Phil, symbole du mâle alpha qui n’est pas sans rappeler le personnage mythique d’un Tramway nommé désir, Stanley, une autre figure littéraire brutale et impitoyable. La ressemblance est d’ailleurs frappante. Phil, calculateur, sournois et misogyne méprise les plus faibles. Il humilie ainsi quotidiennement son entourage et fera sombrer Rose, cette femme désespérée et vulnérable, dans la boisson. Tortionnaire d’une cruauté rare, il martyrise aussi pour son propre plaisir les bêtes et incarne la force brute presque animale du paysage rude et hostile des plaines sauvages qui l’a vu grandir. Pour ne pas être pris par une « chochotte », il se refuse à porter des gants, manipule toujours sans protection le bois tout comme le cuir se sentant invincible. Phil cultive de ce fait son accoutrement sale et sa dégaine de vacher rustique. Il méprise par ailleurs les tenues fringantes des cow-boys propres sur eux aux éperons rutilants et jeans Levis flambant neufs, cette image caricaturale et stéréotypée que renvoie inlassablement le cinéma hollywoodien.
Sa nature psychopathe fascine d’ailleurs autant qu’elle dégoûte le lecteur. Toutefois, derrière ses airs de cow-boys grossier et souillé se dissimule une intelligence des plus machiavélique. Obsédé par son dégoût des homosexuels, il décidera de s’en prendre au rejeton de Rose, Peter, cet étrange garçon aux gestes efféminées, sujet de railleries dans le ranch. Cette force tranquille en apparence vulnérable et malléable est sans conteste la grande surprise de ce roman.
En bref : cette œuvre mérite largement l’estampillons de roman culte. Thomas Savage nous offre ici un huis clos glaçant sur la face dissimulée de l’Amérique rurale profonde, une œuvre au dénouement inattendu et incisif où les faibles ne sont pas forcément ceux que l’on croit… S’il est bien ici question d’homosexualité refoulée qui est à peine suggérée, celle-ci n’est qu’un prétexte d’écriture pour amener tout en finesse au fil des pages un autre thème plus frappant, celui de la vengeance, une revanche savamment orchestrée… Car bien que Phil se soit forgé une nature virile poussée jusqu’à l’extrême, comme un masque, cette dernière finira tout de même par tomber… Et la question demeure en suspens jusqu’à la dernière page engloutie : qui est donc le véritable bourreau dans cette histoire sombre et tragique ? … Je ne vous en dirai pas davantage au risque de vous gâcher le plaisir de la lecture… A lire de toute urgence !
eh bien je fais partie des rares à n’avoir pas aimé, je sens que je suis passée complètement à côté parce que j’en ai lu des avis élogieux… tant pis pour moi !
Bonjour Violette et bienvenu sur le blog. Il faut bien l’admettre, c’est une écriture quand même assez particulière et il faut s’armer de patience jusqu’à la fin pour comprendre le fin mot de l’histoire mais j’ai trouvé finalement le dénouement bien original et admirablement maîtrisé.
Bonjour: je suis un écrivain italien: je voudrais vous parler de mon livre sur Albert Camus qui vient de paraitre en France, mais je ne vois pas une adresse mail où écrire. Mon mail est catelligiovanni@libero.it Merci de me faire signe. Bien cordialement, Giovanni Catelli
J’ai envie de le lire grâce à toi… Mais je dois finir Mille femmes blanches, que tu m’as d’ailleurs offert. Tu es très dure avec les Westerns regarde quelques uns de ceux-là et ton avis changera radicalement, ce sont des portraits d’hommes complexes, qui montrent de grandes faiblesses. Leur « apparente virilité », qui est peut-être exacerbée par la rudesse d’une vie sauvage, rend leur détresse encore plus forte lorsqu’ils perdent leurs moyens. : N°1 : Johnny Guitare (une histoire de femme forte, dont la seule faiblesse est d’aimer la mauvaise personne), N°2 : The Seekers (un homme désespéré qui court après ce qu’il a perdu), N°2 : High Noon (les dernières minutes d’une homme seul donné en sacrifice pour sauver les habitants, aussi veules soient’ils, d’une ville pommée), N°3: Libre comme le vent (un homme qui n’arrive pas à se résoudre à tuer son frère, un criminel devenu aussi incontrôlable qu’une bête enragée).
Hello La Gueuse, un marathon ciné western me tente grandement. Je verrai bien ces films avec toi à l’occasion pour que nous puissions en parler. Mille Femmes Blanches reste l’un de mes romans d’aventure préféré. Je le relirai d’ailleurs avec plaisir, j’ai toujours regretté de ne pas l’avoir chroniqué.
Je découvre ce livre ici. Je le note pour plus tard, tu as su susciter ma curiosité.
Contente d’avoir réussi à titiller un peu ta curiosité. J’espère que ce roman te plaira!
Tu es extrêmement convaincante !
Ahaha! Contente de t’avoir convaincue! C’est un bon roman, une bonne pioche!
Je n’en avais jamais entendu parler, merci !
Bon courage pour la grossesse.
Ondine
C’est un très bon roman, encore trop méconnu en France malheureusement.
Merci pour ce conseil lecture surtout que j’aime beaucoup les westerns mais je n’en ai encore pas lu…
C’est un western mais moderne. L’histoire se focalise plus sur la vie des cow-boys dans les ranchs même s’il y a quelques allusions aux réserves indiennes. Il y a une ambiance très Yelowstone (voir la série avec Kevin Cosner).
Waou quel article !
Merci! J’avoue que ce roman m’a agréablement surprise, c’est à mi-chemin entre Mademoiselle de La Ferté et Les proies.
Je ne vais pas résister longtemps…. (et bonne grossesse aussi 🙂 )
Merci Edméee! Oui c’est un bon roman bien construit. L’auteur a habilement mené son intrigue.