Dans la maison de l’autre/ Cœurs ennemis

Et c’est reparti pour un mois anglais riche en découvertes littéraires !

Pour ouvrir le bal cette année, pourquoi ne pas faire d’une pierre deux coups en célébrant par la même occasion le D-Day qui sera commémoré ce 6 juin ? Résidant en Normandie, je vois depuis peu défiler sous mes fenêtres nombre de voitures vintages ou de véhicules militaires d’époque. La Seconde Guerre Mondiale étant une période historique à laquelle j’ai toujours été particulièrement sensible, je suis donc ce festival de près. De plus, ce contexte reste une mine intarissable d’inspiration pour la fiction… L’occasion semblait donc propice à lire cette petite romance historique, un moyen de participer à ma manière au devoir de mémoire…

En écrivant ce beau roman, Rhidian Brook a souhaité rendre un hommage vibrant à son propre grand-père, lorsque ce dernier, officier britannique au lendemain de la guerre, après avoir réquisitionné une propriété allemande, aurait décidé contre tout attente de cohabiter avec les propriétaires, une initiative de réconciliation que je trouve admirable. Cette dimension personnelle m’a d’emblée séduite, elle renforce par ailleurs un peu plus la crédibilité du récit.

L’histoire se déroule en 1946. Après la capitulation allemande, la ville de Hambourg est dévastée, anéantie par les bombardements successifs des forces alliées de l’Axe. Les troupes britanniques occupent le territoire et un projet titanesque de reconstruction et de dénazification prend doucement forme. Le colonel Lewis Morgan est chargé de cette mission ambitieuse. La demeure somptueuse de Stefan Lubert, un architecte veuf lui est attribuée mais l’officier, écrasé par le poids de sa culpabilité, décide de cohabiter avec « l’ennemi ». Cette décision inattendue n’excite guère l’enthousiasme de son épouse, Rachael, accablée par le chagrin de la perte de son fils, mort sous les bombardements de Londres. Dès lors, pour guérir et se reconstruire, ces trois âmes brisées, à l’image de cette ville détruite devront mettre de côté leurs dissensions…

Voilà un roman percutant qui s’écarte avec finesse des clichés menteurs trop souvent encensés par la littérature et les manuels d’Histoire ; non, tous les Allemands n’étaient pas nazis ! J’ai été ainsi abasourdie de découvrir que la ville de Hambourg, par mesure de répression avait été volontairement rasée de la carte durant l’un des raids aériens les plus meurtriers en Europe, l’opération Gomorrhe, dont le but principal était de démoraliser les forces allemandes. On décomptera plus de 45 000 pertes humaines, un véritable massacre! Les conséquences pour la ville seront bien entendu désastreuses : un million de civils transformés en sans-abris… L’auteur dépeint ainsi avec lucidité et empathie, les vestiges de la ville de Hambourg. Le lecteur ne peut rester de marbre et en particulier lorsqu’il décrit avec tant d’acuité les habitants désespérés et affamés qui errent tels des figures fantomatiques à travers les décombres, en quête de survivants. Je dois admettre que cette vision apocalyptique d’une cité en ruines m’a profondément mise mal à l’aise, et le climat d’après-guerre est en effet oppressant, presque même asphyxiant. La visite du Mémorial de Falaise, dédié aux victimes civiles du Débarquement et de l’Occupation, l’été dernier, m’avait beaucoup émue. Au fond, les traductions du titre du roman en français, Dans la maison de l’autre, tout comme celui de l’adaptation cinématographique Cœurs ennemis, sont donc toutes les deux plutôt évocatrices. La question s’impose en effet d’elle-même : comment peut-on composer avec celui qui fut quelques mois auparavant notre ennemi juré ?

J’ai trouvé les personnages étonnamment fouillés et je dois bien admettre avoir eu une petite préférence pour le colonel Lewis Morgan qui demeure sans conteste la véritable figure héroïque du roman. Pour une fois, il représente plus que l’archétype banal de l’époux cocufié car ne vous méprenez pas lecteurs, ce huis-clos relate bien une liaison adultérine. Cependant, elle reste selon moi plutôt discutable… J’avoue d’ailleurs avoir éprouvé des difficultés à m’attacher à Rachael, une femme égoïste et narcissique trop froide et distante à mon goût. J’ai en revanche beaucoup apprécié Lubert, cet homme rongé par le chagrin de la disparition de son épouse Claudia, qui n’a d’autre choix que de subir avec flegme une situation de subalterne. Cet architecte brillant et raffiné est retranché comme un vulgaire serviteur dans son propre grenier… N’ayant d’autre choix que de travailler à l’usine pour subvenir à ses besoins, il s’efforce de garder espoir coûte que coûte.

Un dernier mot sur le film de James Kent : le cinéaste s’est attelé non sans mal à son adaptation. Mais étant servie par une distribution séduisante, je n’ai pu résister à la tentation de me précipiter en salle pour voir le résultat. La réalisation est plutôt sobre, aussi ce long-métrage manque-t-il selon moi de véritable souffle romanesque. Jane Campion (La leçon de piano) ou même Joe Wright (Reviens-moi) auraient sans-doute mieux exploité la fibre romantique parfois trop figée, et lui auraient apporté davantage de nuances.

Bien que le cinéaste se soit focalisé sur le triangle amoureux, le scénario présente malheureusement quelques lourdeurs et notamment dans son dénouement un peu trop convenu. Cependant, la photographie reste éblouissante et les costumes somptueux. Keira Knightley est d’une élégance folle. Ce film avait néanmoins beaucoup de potentiel même s’il pêche dans sa mise en scène un peu maladroite lorsqu’il tente de constituer le contexte d’après-guerre. Ereinté par la critique française impitoyable, ce long-métrage m’a paradoxalement plu. Certes, il est de qualité inégale, alors que l’adaptation de Suite française également produite par la BBC était nettement meilleure ; néanmoins, il m’évoque une autre petite bluette sans prétention mais toute aussi touchante, For the moment, avec Russel Crow, qui était sortie en 1993.

Pour ma part, je n’ai pas boudé mon plaisir en visionnant Cœurs ennemis, j’ai été agréablement surprise d’y découvrir Alexander Skarsgard repéré dans True Blood (le viking au sex-appeal affolant !). Cet acteur prometteur suédois pas vilain pour un sou est étonnamment juste dans ce film. On le retrouve dans un rôle aux antipodes de ses performances habituelles, à la différence de Keira Knigthley qui semble dernièrement emprisonnée dans d’éternels rôles mélodramatiques….

En bref : Sans être un grand chef-d’œuvre, ce mélodrame sobre de facture classique rejoindra volontiers ma petite dvdthèque.

La bande-annonce du film:

Première participation au Mois Anglais

 

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21 commentaires pour Dans la maison de l’autre/ Cœurs ennemis

  1. Lili dit :

    Je ne peux que saluer l’absence de manichéisme du roman dont tu parles même si, clairement, je ne pense pas me précipiter dessus. Par contre, que vois-je ?! Il est adapté au ciné avec Alexander Skarsgard ?! Alors ça, c’est un argument de poids ! (Je ne suis pas groupie pour deux sous avec beaucoup d’acteurs mais lui, il vaut sacrément son pesant de cacahuètes quand même).

    • missycornish dit :

      Héhé je fond pour Alexander Skarsgard je trouve qu’il a bien évolué au fil des années. Il est loin d’être idiot aussi. Il est vachement séduisant et il a une très bonne élocution pour un suédois qui parle anglais. J’espère le voir dans d’autres films d’époque.

  2. Lou dit :

    Je n’ai pas vu ce film à cause de Keira Knightley, mais je finirai peut-être par me décider. J’avais repéré le roman sur ton insta et il est sur ma LAL. Cette thématique m’intéresse beaucoup. Je viens d’une famille marquée par la guerre, et assez réservée à l’égard des Allemands puis je suis tombée amoureuse d’un Allemand. ça m’a amenée à m’intéresser au sujet. J’ai quelques livres historiques intéressants, notamment sur l’occupation de la France du point de vue des Allemands, avec diverses lettres. J’ai aussi lu et adoré un roman sur une jeune femme de la résistance qui doit espionner un nazi dont elle tombe amoureuse. Il y avait certes un côté romantique (dont je me méfie) mais la tension entre les convictions, le contexte historique et les inclinations personnelles était bien rendue. J’ai bien envie de le relire à l’occasion pour enfin le chroniquer.

    • missycornish dit :

      Je te conseille ce roman alors. Ton histoire familiale m’intéresse. Je ne sais pas si tu as déjà lu La mandoline du Capitaine Corelli qui en Grèce durant l’occupation allemande, une pure merveille bien plus aboutie que Cœurs Ennemis. Pour moi cela reste un incontournable et sans-doute l’un de mes romans favoris:https://artdelire.org/2013/08/25/la-mandoline-du-capitaine-corelli/ J’avais écrit un billet dessus en 2013, ma famille venant de la petite île de Céphalonie où l’intrigue se déroule.

      Il y a aussi le film Suite française qui te plairait, très émouvant, je n’ai pas lu le livre par contre mais cela ne saurait tarder… Connais-tu le titre du roman dont tu me parles sur cette femme qui tombe amoureuse d’un nazi et qui est dans la résistance? J’aimerais beaucoup le lire, préviens-moi si tu le chroniques sur ton blog.

  3. maggie dit :

    Je passe pour le livre et le film alors que je viens de voir Asako I et II, un trio amoureux mais que j’ai adoré…

    • missycornish dit :

      Coeurs ennemis est pas mal, la presse française a été selon moi trop sévère, c’est un film très british. Le triangle amoureux est crédible et les deux hommes sont tout aussi attachants pour une fois, difficile pour l’héroïne de choisir… Moi j’ai bien aimé mais je ne suis pas très objective, j’ai eu un petit faible pour l’acteur suédois. Je ne connais pas du tout Asako, ça à l’air bien, est-ce un film japonais ou un livre? je vais jeter un œil, je n’en ai jamais entendu parler! Je sens qu’une séance télé s’impose…

  4. M de Brigadoon Cottage dit :

    N’aimant pas l’actrice principale, ce film ne m’a pas tenté. Je lirai peut -être le livre. Mais j’avoue que je sature un peu sur cette période.

    • missycornish dit :

      C’est un peu le souci, comme nous en avions parlé c’est vrai que le sujet est quasi-éculé. En ce moment il est très à la mode. J’aime beaucoup Keira Knightley, pour moi c’est une beauté insolite tout comme Fanny Ardant, elle ne ressemble à personne mais je comprends que tu puisses la trouver moyennement convaincante. Dans ce film, son jeu est plutôt sobre, elle fait le job mais rien de plus. Les acteurs masculins sont bien meilleurs.

  5. ceciloule dit :

    Sympathique, on est d’accord ! Il faudrait que je lise le livre 😉

  6. Edmée dit :

    J’ai vu le film, que j’ai aimé mais j’aimerais à présent lire le livre, où je trouverais sans doute les nuances que le film n’a pas pu relever. C’est vrai qu’on a diabolisé les Allemands, mais je me souviens avoir lu il y a quelques siècles (j’étais jeune…) un livre appelé je crois « la ville aux toits verts » (traduction sans doute) sur le bombardement de la ville de Dresde, pas non plus à la gloire des Anglais malgré tout…

    • missycornish dit :

      C’est vrai que les anglais ne sont pas forcément à leur avantage dans ce film, dans le livre Rhidian Brook évoque également les nombreux pillages d’œuvres d’art effectués par les britanniques lors des réquisitions… On se rend vite compte que personne n’était vraiment innocent dans cette guerre…. Le livre est bon, même si je lui ai reproché une fin trop convenue. J’espère qu’il te plaira. Je suis contente de savoir que je ne suis pas la seule à avoir apprécié ce film trop sévèrement critiqué. J’ai écouté un podcast de France Inter, le journaliste trouvait que le long-métrage était « un affreux pensum » ce que je n ‘ai pas du tout ressenti en visionnant ce film…

  7. La Gueuse dit :

    La bande annonce fait très arlequin, non ?

    • missycornish dit :

      Ahaha! Tu trouves moi elle me plaisait bien surtout le morceau de musique. Il ne faut pas se leurrer c’est une romance historique, il faut pas le prendre pour autre chose. Je serai curieuse de lire ta chronique cinématographique. On rigolerait bien je suis sûre. Peut-être après Mélancholia?

  8. anne7500 dit :

    Oh punaise, je sais que j’ai ce livre quelque part dans la maison, une première fouille ne l’a pas incité à sortir de sa cachette… J’avais justement envie de lire quelque chose d’anglais en lien avec la deuxième guerre, je ne sais pourquoi je le croyais américain… Bon, je ne désespère pas de le retrouver 😉

    • missycornish dit :

      Non le livre n’est pas américain. l’auteur est anglais d’origine galloise et l’histoire se focalise sur un officier anglais. J’espère que tu pourras le retrouver, je serais curieuse de connaître ton avis sur ce roman.

On papote?