Le goût de la mangue

Le goût de la mangue, dont le titre à la sonorité exotique m’inspirait naguère un désir irrépressible d’évasion, est une lecture de jeunesse qui m’avait laissé un souvenir marquant durant mes premières années de collège. J’ai souhaité le relire pour pouvoir vous le faire partager. Ce roman a t-il survécu à l’épreuve du temps?

Consacré à l’adolescence, cet ouvrage narre les mémoires d’une jeune fille française, établie à Madagascar durant les années 50.

1956, Tananarive.

A quinze ans,  Anna vit l’âge des premiers émois amoureux sous les cocotiers, à Madagascar, une colonie française. Si cette île paradisiaque fait rêver ses camarades de classe, la jeune fille habituée au temps rude de sa  Bretagne natale, ne s’y sent pourtant pas chez elle et n’apprécie guère cette jeunesse blanche dorée et insouciante, qui  s’abandonne paresseusement sur la plage ou à la piscine, sans se préoccuper de l’existence de la population indigène. De la culture malgache, Anna n’en connait qu’une infime partie, celle que sa nénène Séraphine et les marchands du zoma veulent bien lui dévoiler. C’est en faisant la connaissance de Léon, un jeune étudiant malgache merina qu’Anna découvre avec émerveillement les us et coutumes du pays. Ce garçon attirant et cultivé instille en elle le goût de la passion. Mais la quiétude tranquille de son univers colonial rassurant est sur le point de vaciller dangereusement car les tensions  autonomistes malgaches subsistant depuis le soulèvement de 1947 vers l’indépendance,  semblent annoncer la montée de futurs conflits. Le monde  d’Anna n’en sera que plus bouleversé.

J’ai une fois de plus retrouvé dans ce livre, l’atmosphère exotique et « nonchalante », tel que le décrit si bien l’écrivaine, que j’avais entrevue il y a quelques années à Madagascar, comme si, sur ses récifs le temps n’avait plus d’emprise pour les expatriés venus s’y échouer, sûrement dans l’idée d’y trouver un petit coin de paradis terrestre. Au fil des pages mes souvenirs flous ont lentement refait surface. J’ai repensé au souffle chaud du vent comme une caresse sur la peau que l’on ne ressent que sur les îles tropicales, à cette eau turquoise et translucide dans laquelle j’aimais me prélasser, aux fruits juteux, et en particulier à ces bananes minuscules gonflées de sucre que je dégustais le matin au petit déjeuner, et à ces autres souvenirs mémorables que nous avions vécu là-bas. Des bribes nostalgiques d’une enfance si lointaine déjà.

Toutefois, si la vie des expatriés blancs sur cette île idyllique est souvent synonyme d’engourdissement des sens, Madagascar ne devrait pas (cela va de soi)  se résumer à cette vision coloniale très surfaite et contemplative que l’on réserve aux touristes de passage, ce que semble vouloir exprimer avec difficulté Catherine Missonnier dans cette bluette un peu mollassonne.

  Une photo de Tananarive durant l’année 1950.

A travers le regard naïf de son héroïne Anna, une élève sérieuse et appliquée qui trompe son ennui par la lecture, la romancière se veut didactique et nous livre un commentaire éclairé sur les traditions ancestrales de Madagascar et en particulier sur la caste des Merina, l’une des anciennes noblesses malgaches. Elle revient également sur les origines des premiers peuples installés sur l’île rouge. Malheureusement l’écriture reste un peu trop simpliste et n’est pas à la hauteur du sujet. Multipliant les lieux communs, le roman n’apporte aucune réflexion profonde sur l’histoire des colonies et manque cruellement de densité tout comme ses personnages figés dans des clichés. La voix de la jeune fille semble également faussée par la vision trop moderne de la femme mûre qu’est Catherine Missonnier.«…Elle a vu mon père emmené par les policiers, le matin de son arrestation.  Je sais que tu comprends notre désir de liberté et je sais aussi que tu l’approuves… ».

Ainsi la personnalité d’Anna ne reflète pas vraiment son époque ni son contexte historique mais le nôtre puisque l’auteur a choisi de rester politiquement correct ce qui donne une image de Madagascar et de l’année 1956 un peu déformée. La romancière aurait-elle idéalisé ses souvenirs ? Dès lors, l’île et son exotisme semblent plus un prétexte d’écriture, deux accessoires, pour justifier sa petite romance. Ce récit d’apprentissage manque donc de sincérité. De plus, la mièvrerie empiète constamment sur l’histoire. La déclaration d’amour mutuel des deux adolescents tombe comme un cheveu sur la soupe et la fin est d’une niaiserie épouvantable.

Quelques phrases lues au hasard d’une page : « pour ces quelques instants sous le bougainvillier des Bastien, je déplacerais des montagnes et pour ton regard complice quand tu me cherchais entre les têtes et les dos de ces pasteurs, je viderais des océans à la petite cuiller… »

Une autre perle du genre : « Ton regard si sérieux quand tu écoutes, tes cheveux qui volent (attention aux cheveux volants !) et  sentent la vanille… ».                                                                                   Et la cerise sur le gâteau : « Je viens de commencer à l’aimer, et on me le retire. Je l’aurais écouté pendant des heures, il m’aurait caressée pendant des nuits. Et cette violence qui m’a fait reculer, je n’en aurais plus eu peur. Je l’aurais voulue. Je l’aurais connue (!!!)En quelques mois Léon, tu m’as appris que la vie pouvait avoir plus de goût qu’un roman d’Alexandre Dumas. »                      En effectuant quelques recherches je me suis aperçue que de nombreux passages semblaient peu probables ce qui a altéré mon ressenti. Ainsi la jeune fille dit vouloir téléphoner à Léon de France, est-ce vraiment possible dans les années 50 quand les moyens de communications étaient plutôt limités ?

En outre, s’il est vrai que les malgaches et les français évoluaient effectivement dans deux dimensions bien distinctes, la communauté française de jeunes expatriés de cette époque n’avait qu’une vague idée de ce qui se tramait réellement, ni du dénouement futur du pays, l’avenir de Madagascar restait encore incertain. Les années 50 n’étaient pas une période de troubles flagrants. Rappelons tout de même que l’indépendance officielle de l’île vis-à-vis de la France ne surviendra que bien plus tard en 1960 (le 16 juin plus exactement) soit quatre ans après l’histoire. Le récit manque donc partiellement d’authenticité.

Au final, même si ce roman nostalgique m’a rappelé des situations familières de mon enfance, cette histoire d’amour fleurant les bons sentiments laisse un arrière-goût de mangue un peu trop fadasse. Etant toujours absorbée par la lecture de David Copperfield, je reste peu convaincue par ce genre de « littérature jeunesse » trop facile. Ma prochaine lecture dédiée au bouleversement de l’adolescence ?: Le Blé en herbe de Colette.

Un dernier mot sur l’auteur : Catherine Missonnier a été interne au lycée Jules Ferry de Tananarive durant la période de 1952 à 1956 puis de 1958 à 1959.

Le goût de la mangue de Catherine Missonnier, 216 pages, Editions Thierry Magnier, 2006.

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Un commentaire pour Le goût de la mangue

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