Manderley for ever

9782226314765FSPour notre plus grand bonheur cette année, Tatiana de Rosnay s’est lancée sur les traces de Daphne du Maurier, une initiative que je ne peux que saluer étant une fervente admiratrice de cette romancière anglaise prolifique. J’avais en effet découvert avec émerveillement son talent exceptionnel durant mon adolescence. Je garde encore un souvenir impérissable de Rebecca et de Ma cousine Rachel tout comme de Jamaïca Inn. Passionnée par sa vie tout comme son œuvre foisonnante (pas moins de 15 romans, six recueils de nouvelles et j’en passe), je m’étais rendue, il y a quelques années à la manière d’un pèlerin, à Bodmin en Cornouailles pour visiter « L’auberge de la Jamaïque » où un musée remarquable lui est entièrement consacré. Bien entendu, lorsque j’ai appris la parution de cette biographie à la couverture sublime, je n’ai pas hésité à l’ajouter à ma liste d’envie, espérant pouvoir l’acquérir dès que mon porte-monnaie me le permettrait. Finalement, ce sont mes parents qui me l’ont généreusement offert à l’occasion de mon anniversaire.

Menabilly Daphne

Tatiana de Rosnay nous relate donc dans cette biographie romancée la vie tout comme le parcours d’écrivain torturé de Daphne du Maurier, une femme aux mille facettes qui nous fascine et nous émeut autant qu’elle nous agace parfois. L’auteure revient ainsi sur ses passions secrètes tout comme ses relations familiales complexes. On y découvre une femme au caractère bien trempé qui n’aspirait qu’à la liberté, celle de pouvoir vivre pleinement de sa plume. Cette biographie fourmille d’anecdotes sur l’écrivaine anglaise qui ne vivait que pour ses obsessions, sa passion dévorante pour l’écriture et les demeures vétustes chargées d’Histoire qui ont nourri son génie créateur, car Daphne du Maurier est aussi une dame pour le moins excentrique, qui préférait davantage les murs humides d’une bâtisse décrépie à la compagnie chaleureuse de ses proches. Elle aimait ainsi d’un amour passionné Menabilly, un manoir vieillot à l’attirance magnétique que lui louait une vieille famille d’aristocrates en Cornouailles durant de nombreuses années. C’est là qu’elle écrivit fiévreusement, loin des fastes des mondanités londoniennes, ses plus grands succès littéraires. Malgré le froid mordant du manoir et l’eau du robinet souvent verdâtre d’une tuyauterie défectueuse, Daphne du Maurier obstinée, refusera longtemps d’abdiquer. L’écrivaine restera indifférente aux supplications de ses trois enfants (Flavia, Tessa et Kits) qui, pour supporter la température glaciale, se verront forcer de dormir emmitouflés dans leurs manteaux d’hiver. Malheureusement, Daphne sera finalement forcée de la quitter sous la pression des propriétaires impatients souhaitant reprendre possession des lieux. Cette expérience douloureuse sera vécue comme un véritable deuil, un déchirement dont elle aura du mal à se remettre autant que de la disparition de son époux bien-aimé, Tommy, le vaillant officier de l’empire britannique, attaché de la reine Elisabeth II, dont elle fut éperdument amoureuse.

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Tatiana de Rosnay n’émet aucun jugement de valeur et nous laisse faire la part des choses. Néanmoins, malgré cette neutralité, la personnalité un tantinet antipathique de Daphne du Maurier transparaît dans chacune de ces pages. Cette dernière, individualiste, négligeait souvent ses enfants tout comme son époux au détriment de sa passion pour l’écriture, une activité vorace qui l’occupait nuit et jour. Pour s’y consacrer entièrement, elle demandera un jour à son mari de faire chambre à part. Ce choix égoïste sonnera le glas de leur relation déjà ébranlée par le traumatisme de guerre de Tommy qui traversera les deux conflits mondiaux. L’officier ne s’en remettra jamais véritablement et noiera son malheur dans la boisson. J’ai eu d’ailleurs beaucoup de peine pour cet homme solitaire que Daphne du Maurier surnommait avec affection « Tristounet », un sobriquet pathétique qu’il gardera jusqu’à sa mort. Si Tommy, dépressif, ne fut pas toujours en accord avec le choix de mode de vie un peu bohème de Daphne, il lui demeurera toutefois fidèle jusqu’à son dernier souffle en l’encourageant toujours dans ses projets littéraires.

On apprend de surcroît à travers ces bribes savoureuses, que l’écrivaine anglaise était issue d’une famille d’artistes et avait des origines nobles françaises. Son père, Gérald du Maurier, était un acteur illustre de théâtre, ses sœurs Angela et Jeanne étaient écrivaine et peintre. On sait peu de chose, en revanche, de la mère qui fut pourtant aussi dans sa jeunesse actrice. Daphne du Maurier nourrit une admiration sans borne pour sa famille paternelle et en particulier pour son grand-père « Kiki », un grand romancier qui s’expatria longtemps à Paris et qui lui insufflera le goût de la littérature. J’ai été particulièrement intéressée par le personnage d’Angela, la sœur aînée de Daphne du Maurier plus présente dans cette biographie que Jeanne, la cadette qui reste trop nimbée de mystère. Par ailleurs, Angela s’attèlera elle aussi à la tache laborieuse de l’écriture, sans grand succès néanmoins. Éclipsée par le talent monstrueux de sa sœur Daphne si ambitieuse, elle évoquera dans ses mémoires, avec bienveillance, leur rivalité d’écrivaine supposée. Ces deux sœurs étaient en effet très proches et ne manquaient pas de tarir d’éloges sur leurs travaux littéraires respectifs.

Bien que Daphne du Maurier se soit désolée souvent dans sa jeunesse de son manque d’indépendance financière vis-à-vis de ses parents, elle ne vécut jamais dans la misère. En outre, sa famille ayant été très fortunée, celle-ci satisfaisait sans broncher tous ses caprices. Son père un tantinet abusif, avec qui elle entretenait une relation complexe d’amour-haine, lui offrira un voilier magnifique puis, Ferryside, une maison de vacances somptueuse située face à la mer, à Fowey en Cornouailles où elle aimait passer la majorité de ses vacances.

Ferryside

J’ai été agréablement surprise de découvrir un lien de parenté entre le clan du Maurier et J.M Barrie, l’éminent créateur de Peter Pan. Le dramaturge et écrivain fut effectivement le tuteur des cousins de Daphne qui inspirèrent les personnages des enfants perdus du Pays imaginaire ! D’ailleurs, Daphne, avait imaginé au cours de son enfance, un alter ego à partir du modèle de Peter Pan, Eric Avon, qui lui permettra de se glisser dans la peau des protagonistes masculins de ses œuvres.

Tatiana de Rosnay nous révèle d’autres secrets comme les relations saphiques qu’eut Daphne avec plusieurs femmes qui devinrent au fil des années des muses pour ses héroïnes de papier. La plus célèbre reste Fernande Yvon, une professeure française qu’elle aima passionnément dans sa jeunesse avant de rencontrer son époux.

Ainsi donc, Tatiana de Rosnay ressuscite avec panache cette écrivaine à la personnalité contradictoire. Une femme sulfureuse qui ne résistera pourtant pas aux traditions sociales de son époque en se mariant et en fondant une famille malgré sa soif d’indépendance. Aussi évoque-t-elle ses démons intérieurs, sa quête perpétuelle du bonheur pour contrer ce qu’elle appelait « Le ruban noir » des du Maurier, une tendance atavique à une certaine mélancolie dépressive qui avait déjà gagné auparavant son père, son grand-père et son mari. Je dois admettre que j’ai préféré la partie sur sa jeunesse, plus gaie, tandis que la fin du livre m’a un peu déprimée. Daphne du Maurier ne se considérait pas comme une romancière à suspens à l’eau de rose et tentera vainement de s’écarter de ce genre trop déprécié par les critiques. Elle ne comprenait de ce fait pas l’engouement des lecteurs pour Rebecca, son principal chef-d’oeuvre, un roman gothique qui, selon elle, ne reflétait pas réellement son talent véritable d’écrivaine. Malheureusement, le fantôme de Rebecca la poursuivra jusqu’à la fin…

DAPHNE DU MAURIER

En bref : cette incursion réjouissante dans l’univers de l’auteure fut un véritable régal. L’exercice de style est réussi, chapeau bas à Tatiana de Rosnay pour ce travail titanesque de recherches. Cette biographie éblouissante très érudite, n’a pas complètement terni l’image que j’avais de Daphne du Maurier.  Même si l’on y entrevoit une facette de l’écrivaine qui n’est à mon sens pas toujours valorisante, son caractère profondément humain la rend par certains aspects attachante. D’une plume fluide, Tatiana de Rosnay nous livre donc un hommage vibrant à cette romancière provocatrice, francophile et à l’humour pince sans rire. En outre, ce livre-écrin est agrémenté de superbes clichés de Daphne du Maurier en compagnie de ses proches ainsi que des propriétés qui marquèrent sa carrière littéraire. Une édition soignée, faite avec goût. Un bel ouvrage à ne surtout pas manquer!

Première participation au « Challenge Daphne du Maurier » organisé par Nath du blog Un chocolat dans mon roman.

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19 commentaires pour Manderley for ever

  1. nicolas dit :

    Je cherchais des informations sur manderley quand je suis tombé sur votre article. J’ai particulièrement apprécié de le lire.
    Bravo et continuez,
    http://ruedesbeauxarts.fr/

  2. Une biographie que j’ai très envie de lire mais j’attendrais de mieux connaître l’oeuvre de Daphne du Marier avant de me plonger dedans 🙂

  3. maggie dit :

    J’aime les bio, j’aime D. du Maurier ! Pour Rebecca et l’auberge de la Jamaique ! J’ai hâte de découvrir cette bio. Est-ce qu’il y a des citations de lettres, de romans ?

    • missycornish dit :

      Non pas beaucoup mais par contre, il y a parfois des explications concernant la psychologie de ses personnages que j’ai trouvé très intéressant. On comprend mieux la raison de leurs actions. C’est vraiment bien. Il y a donc quelques analyses pertinents sur les œuvres de du Maurier.

  4. Sybille dit :

    J’adore cette auteure, donc savoir que Tatiana de Rosnay a écrit un livre sur sa vie me plaît beaucoup ! J’ai hâte de le lire !

  5. M de Brigadoon Cottage dit :

    Très jeune j’étais une fan de Daphne du Maurier , elle représentait pour mon coeur de gamine l’essence même du romantisme . Si j’avais lu sa biographie à l’époque mon regard en aurait sans doute été changé. J’ai envie de lire ce livre et de relire son oeuvre et de voir ce que ressentirai . C’était une femme qui visiblement était en avance sur son époque dans sa vie . Et sans doute que des traductions plus modernes lui rendraient justice . Encore mieux quand on a la chance comme toi et moi de pouvoir le faire , le relire dans le texte. Merci Missy de nous donner toutes ces belles envies de lectures .

  6. nath dit :

    merci de ta participation a challenge 😉 J’ai apprécié cette biographie qui m’a donné envie d’en savoir davantage sur cette femme au caractère bien trempé

  7. cora85 dit :

    Encore un bouquin que j’ai envie de lire, lol !

    Ondine

  8. denis dit :

    Ton avis est très précieux pour donner envie de lire ce livre car je sens en toi des exigences littéraires qui me ressemblent et j’avoue que j’étais dubitatif.

    • missycornish dit :

      C’est du beau travail. Bien documenté. Je connaissais déjà un peu la vie de cette romancière car j’avais visité son musée à plusieurs reprises. Non, moi aussi j’étais réticente à le lire lorsque j’ai vu un article évoquant Tatiana de Rosnay mais après avoir feuilleté l’ouvrage en librairie, j’étais tout de suite tombée sous le charme. Je ne regrette pas, c’est un coup de cœur. Je relirai sans-doute des passages avec plaisir.

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