Mary Reilly

Mary reilly livreMon admiration sans bornes pour la littérature gothique anglo-saxonne n’est depuis longtemps plus un secret pour vous blogueurs, et je suis toujours à l’affût de nouvelles trouvailles littéraires pour compléter ma « petite » collection. En faisant mes cartons de déménagement, j’ai dégoté ainsi dernièrement ce roman américain original, un complément au célèbre classique de Robert Louis Stevenson, le Docteur Jekyll et Mr Hyde ! Cette couverture vintage couleur sépia,  que j’avais repérée il y a quelques années dans la vitrine de la grande librairie d’Exeter, durant mon séjour en Angleterre, avait tout de suite titillé ma curiosité. Je m’étais  bien évidemment empressée de me procurer ce roman fantastique.

Le livre étant en version originale, j’ai attendu le moment propice (soit plus d’un an après son acquisition !) pour pouvoir le lire en toute tranquillité. L’occasion s’est enfin présentée durant ces dernières semaines moroses et grisâtres au cours desquelles j’ai pu profiter calmement de mon nouvel intérieur. Au final, mes efforts ont été récompensés. Ce fut plutôt une bonne pioche !

Narrée sous  forme autobiographique, cette histoire dont nous connaissons tous l’issue, est perçue à travers le regard affûté de Mary Reilly, une domestique lettrée au service d’un ténébreux médecin renommé, le Docteur Jekyll. La jeune domestique relate dans son journal intime son quotidien, sa vie dans une maison respectable d’un quartier londonien huppé, l’attitude étrange de son maître tout comme l’accomplissement de ses tâches ménagères. Traumatisée par une enfance malheureuse, la jeune femme croit avoir finalement trouvé dans cette demeure rassurante, un foyer accueillant et protecteur. Malheureusement, cette existence paisible est vite bouleversée par l’arrivée d’un nouvel occupant. En effet, le docteur Jekyll, éreinté par des travaux scientifiques mystérieux, a pris la décision d’engager un assistant, Monsieur Edward Hyde, pour l’épauler dans sa tâche secrète. Mary ne tarde pas à découvrir qu’un halo de scandale entoure cet homme à l’attitude exécrable et vulgaire. Une ombre sinistre plane désormais sur la propriété et ses environs. Mary décèle ainsi un changement notable dans l’attitude de son maître. Ce dernier, dont la santé s’est nettement dégradée, s’isole de plus en plus dans son cabinet, laissant Monsieur Hyde s’aventurer au gré de ses envies dans la maison pour semer la terreur au sein du personnel. De nombreux décès suspects surviennent également dans la localité. Ce cortège de meurtres horribles ne semble rien présager de bon. Mary qui rend compte chaque jour dans son journal de la métamorphose progressive de son protecteur ne tardera pas à en tirer des conclusions inquiétantes…

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Si ce récit aux accents gothiques suit plus ou moins la trame du roman de Robert Louis Stevenson, tout cela sert avant tout de décor pour restituer l’ère victorienne, une période historique particulièrement sombre. L’ambiance est d’ailleurs plutôt dickensienne ; les rues londoniennes sont sales et infestées de vermine, la misère est d’une cruauté impitoyable, les enfants sont livrés à eux-mêmes et les maisons closes tout comme les orphelinats ont le vent en poupe.  N’oublions  pas que trois ans plus tard, dans ces mêmes rues, sévira l’un des meurtriers les plus sanglants connus jusqu’à ce jour, véritable cauchemar des détectives de Scotland Yard : Jack l’éventreur ! Le meurtrier se serait-il d’ailleurs inspiré de l’œuvre fantastique de Sir Arthur Conan Doyle pour marquer les esprits futurs ?

Sans-doute car Mr Hyde reste l’un des personnages tourmentés les plus fascinants de la littérature anglaise du XIXème siècle. A l’instar de Dracula de Bram Stocker ou de la créature anonyme de Frankenstein de Mary Shelley, Jekyll est en proie à une véritable vampirisation intérieure qui le conduit inexorablement à la folie destructrice. Hyde, le vampire psychique qui vit tapi en lui est un véritable parasite qui se nourrit de sa haine dissimulée. Cet alter ego maléfique est un personnage transgressif méprisable qui s’accapare ses richesses, occupe son bureau et s’approprie même ses livres. Jekyll est-il de ce fait victime d’un simple dédoublement de la personnalité, une schizophrénie volontairement ignorée, ou bien est-il, au contraire, parvenu à créer sa propre créature de l’ombre ? Le lecteur finit lui-même par en douter.

Quoiqu’il en soit, cette expérimentation, manifestement ratée, entraîne une étrange forme de régénérescence chez le docteur, une sorte de cure de jouvence maléfique, décuplant sa force tout comme sa taille. Le docteur Jekyll,  un scientifique émérite aux idées utopistes souhaitait initialement trouver un remède pour vaincre l’hypocrisie afin de rendre l’homme plus pur ; malheureusement, le résultat sera tout autre. Cette expérience donnera naissance à un monstre de franchise et de méchanceté, à un être marginal malveillant, chaotique et irrévérencieux. En somme, un individualiste égoïste évoluant selon ses propres règles, bafouant sans vergogne sur son passage les lois de d’une société qu’il hait. Serait-ce donc le message décrypté de l’Etrange cas du docteur Jekyll et de Mr Hyde ? Cette œuvre littéraire si brève et innocente en apparence recèlerait donc une critique virulente de la société anglaise contemporaine de l’auteur. Hyde, le monstre qui sommeille en Jekyll, serait ainsi le symbole de la décadence d’un système éculé et en particulier d’une société pourrie dans l’âme, étouffée par trop de retenue. Cette société méprisante composée d’une aristocratie souffreteuse qui écrase une population miséreuse, celle dont est issue la pauvre Mary.

imagesOn s’attache d’ailleurs aisément à cette figure féminine bienveillante tiraillée entre son devoir de servante et son désir inavoué pour son protecteur. La douce Mary Reilly, dont l’existence fut toujours ponctuée de drames familiaux, voit en lui un protecteur ainsi qu’une figure paternelle de substitution,  même si, il faut bien l’admettre, cette idolâtrie servile est parfois dérangeante. La relation qu’entretient Mary avec le docteur Jekyll est en effet toujours teintée d’ambiguïté. Le médecin dérangé est ainsi fasciné par le passé glauque de sa petite protégée. Malmenée par un père abusif et alcoolique, Mary a gardé les séquelles de cette maltraitance, des cicatrices hideuses qu’elle dissimule sous ses vêtements. Ces traces laissées sur son corps attirent tout particulièrement l’œil scrutateur du docteur.

Si la personnalité de Mary Reilly est touchante, elle est néanmoins un peu trop effacée à mon goût. Ce protagoniste féminin de prime abord sensible et intelligent, n’est au final nullement héroïque puisque son caractère agaçant reste la plupart du temps passif. Au fond, elle n’est qu’un prétexte d’écriture  de l’écrivaine pour restituer l’austérité du décor victorien dans lequel l’intrigue est plantée et étoffer un peu plus  le caractère romantique de Jekyll qui prend ici beaucoup plus de dimension. A travers, ce personnage, l’auteure souligne aussi l’importance des classes sociales au XIXème siècle et en particulier la nécessité de conserver son rang coûte que coûte. Un aspect qui m’a particulièrement plu dans ce roman.

Par ailleurs, j’ai été happée par ce récit et en particulier par l’atmosphère mystérieuse qui s’en dégageait. Cette ambiance inquiétante rappelle beaucoup l’œuvre de Charlotte Brontë, Jane Eyre. La romancière nous livre ici un conte singulièrement macabre. On déplore, cependant, une intrigue traitée trop superficiellement dans les derniers chapitres. A mon grand regret, j’ai eu l’impression désagréable que l’histoire s’était un peu essoufflée. De plus, j’aurais aimé que la relation du Docteur Jekyll et de Mary Reilly prenne une tournure différente, peut-être plus  passionnée, même si elle reste logique en respectant le contexte historique de l’époque, une période où les sentiments entre hommes et femmes sont déclarés et exprimés de manière toujours très pudique, étouffés, voire asphyxiés par des conventions vétustes et où il ne peut y avoir d’amour entre un maître et sa servante, le fossé social étant trop vaste.

Toutefois, malgré ces quelques désagréments, il faut bien le reconnaître les descriptions restent crédibles et ne sombrent jamais dans le grotesque. Qu’on ne s’y trompe pas, ce livre est bon et j’ai passé un agréable moment, mais il est loin d’être un coup de cœur. Le romantisme pointe trop timidement à mon goût. Mon avis  a été un peu influencé par mes dernières lectures et en particulier par le Chardon et le tartan, une histoire d’amour nettement plus satisfaisante ! (et beaucoup plus sexy !!!).

Mary Reilly est finalement plus proche du docu-fiction que d’un véritable roman d’épouvante ou d’une romance historique. Le roman verse d’avantage dans le portrait social d’une femme de chambre au XIXème siècle. Nonobstant, les lecteurs d’Une  saison à Longbourn de Jo Baker devraient y trouver leur compte, tout comme les aficionados de classiques victoriens tels que David Copperfield de Charles Dickens ou de romans gothiques  tels que Jane Eyre de Charlotte Brontë.

Pour conclure, il faut bien l’admettre, revisiter ce classique victorien était une idée fort intéressante. Le défi était de taille et bien que le livre pêche parfois par quelques maladresses d’écriture, la romancière new-yorkaise s’en est tout de même sortie avec panache ! L’exercice de style est réussi.

Un roman original à la frontière de l’Histoire et du fantastique que je vous enjoins de découvrir vite si ce n’est pas déjà fait ! Robert Louis Stevenson peut dormir tranquille, la relève semble assurée !

Un dernier mot sur le film tiré de cette œuvre.

220px-Mary_ReillyLors de sa première parution en 1990, Mary Reilly connut tout de suite une bonne critique aux Etats-Unis tout comme en Grande-Bretagne, si bien que le livre fut promptement porté à l’écran par le réalisateur des Liaisons dangereuses. J’ai bien évidemment visionné dans la foulée l’adaptation que j’ai trouvée malgré le casting de premier choix (Julia Roberts et John Malkovich) à ma grande surprise assez médiocre. L’alchimie n’a, du reste, pas pris entre les deux acteurs. L’actrice, pourtant si talentueuse, était aussi à ma grande déception plutôt insipide à l’écran.

Néanmoins, quelques petites trouvailles du réalisateur: le personnage de Jekyll s’érotise d’avantage à l’écran et est finalement présenté comme un dandy, un aspect qui m’a spécialement intéressée. Il est regrettable malgré cela que ce médecin séduisant soit incarné par John Malkovich qui nous présente, d’un bout à l’autre du film, une réplique caricaturale de Valmont. L’acteur campe un romantique tourmenté moyennement convaincant, et son air lubrique est  franchement déplaisant, voire trop insistant ; en fait, je raffole peu des yeux torves de Malkovich (on dirait un vieux pervers). En revanche, seul point positif selon moi, j’ai trouvé Glen Close en maquerelle douteuse vraiment ignoble. Quelle actrice!

Finalement,  à ma grande surprise, même si la photographie était belle, le film s’est révélé tout de même un échec. Il est loin d’être une œuvre cinématographique magistrale.  La réalisation est trop sobre, voire même trop classique. C’est un bon téléfilm tout au plus qui n’égale même pas les adaptations télévisées de la BBC.

Cet article a été publié dans Cinéma, Classique britannique, Littérature américaine, roman historique. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

8 commentaires pour Mary Reilly

  1. Je le note car ton billet m’y invite grandement. Merci pour le partage ! Je tenterai de me souvenir qu’il y a un film également !

  2. LaGueuse dit :

    J’avoue que je n’ai pas compris ce qui arrivait à Julia Roberts dans le film, c’était une bonne idée sur le papier de la prendre pour ses grands yeux apeurés, mais à l’écran, aucune présence. Je pense que le couple Malcovitch/Roberts n’avait juste aucune alchimie. Erreur de casting. En plus les cheveux longs et gras de Hyde sur un front dégarni… Pas top.

  3. Lili dit :

    Je te trouve dure avec l’adaptation cinématographique. Je l’ai revu il y a quelques mois après ma lecture du roman de Stevenson et je l’avais plutôt apprécié – tout comme la première fois. Ce n’est clairement pas le meilleur film de Frears ni le meilleur rôle de Malkovitch ou Julia Roberts, mais je le trouve tout à fait agréable malgré tout.
    Par ailleurs, comme toi, j’adore les romans gothiques britanniques ! J’espère en lire un nouveau prochainement !

  4. maggie dit :

    Je lirai peut-être le roman si je met la main dessus. Tout à fait d’accord pour le film : Le film est très classique dans l’image et Malkovitch ne sert pas le film…

  5. cora85 dit :

    P.S : j’ai adoré « Dr Jekyll et Mister Hyde » de Louis Stevenson !

    Ondine

  6. cora85 dit :

    J’ai aimé le film, et J.Malkovitch m’a vraiment faite flipper !!!
    Je ne savais pas qu’il était tiré d’un roman.
    C’est toujours aussi plaisant de te lire !
    Je t’envoie toute la chaleur du sud !
    Bisous !
    Ondine

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