Les Malheurs de Sophie

1125717_10745567 malheurs de sophieLes malheurs de Sophie ont toujours été associés pour moi à la saveur douce et réconfortante d’un pain au lait et à un parfum chocolaté irrésistible, celui qui embaumait ma cuisine en Normandie à l’heure du goûter. Ma sœur et moi avions coutume de visionner le dessin-animé chaque jour après l’école sur notre petit poste de télévision rustique qui était installé près de l’évier.

Lire les œuvres de la comtesse de Ségur c’est replonger dans cette période insouciante de mon enfance où je ne devais pas avoir plus de huit ans ! Cette immersion délicieuse dans l’enfance au XIXème siècle fut donc teintée de réminiscences nostalgiques.

Il y a des petites filles adorables et admirables comme la jolie Sara, l’héroïne du roman américain La petite princesse, véritable parangon de vertu, que dépeint dans son roman larmoyant mais néanmoins magnifique Frances Hodgson Burnett (ma chronique ici), et puis, il y a aussi l’autre petite fille, celle que tous les parents redoutent un jour d’avoir. Sophie l’incorrigible, toujours en quête d’une nouvelle bêtise. Ne vous fiez pas à son jeune âge, la demoiselle est aussi redoutable que créative. Madame Réan sa mère, a beau lui faire la morale, la petite est une vraie tête de linotte.

La comtesse de Ségur, née Sophie Rostopchine, se serait inspirée de ses propres souvenirs d’enfance pour relater Les malheurs de Sophie. Avant qu’ils ne deviennent les classiques incontournables que nous connaissons tous dans la collection illustrée de la Bibliothèque rose, ces contes auraient été initialement destinés à ses petites-filles, Camille et Madeleine, (toutes deux prêtent leurs noms aux amies de Sophie dans le premier tome) parties s’établir à Londres avec leurs parents.

Le premier volume de cette trilogie comportant Les malheurs de Sophie, Les petites filles modèles et Les vacances, se déroule principalement sous le second empire, dans un château de la campagne française.

Entre son père, Monsieur Réan, la majeure partie du temps absent et effacé, et sa mère trop occupée par le rôle de dame qui sied à sa condition, Sophie est souvent livrée à elle-même. Turbulente et intrépide, la petite fille prend un malin plaisir à désobéir à ses parents dès qu’elle en a l’occasion.

Paul, son cousin de deux ans son aîné, qui réside dans une propriété voisine, est bien sage en comparaison. Cela n’empêche bien évidemment pas Sophie, aussi tyrannique que malicieuse, de tout mettre en œuvre pour l’entraîner dans de mauvais tours, comme lorsqu’elle l’encourage à faire le guet pendant qu’elle s’affaire à mettre une pointe de clou au soulier de sa chaussure et qu’elle frappe de son talon son pauvre âne pour qu’il trottine plus. Mais Madame Réan n’est jamais bien loin pour rappeler à l’ordre sa fille, quitte à lui donner le fouet si elle dépasse un peu trop les bornes. Beaucoup de lecteurs modernes désapprouveront sans-doute ces scènes de châtiments corporels, une méthode punitive aujourd’hui passée de mode. J’avoue ne pas avoir été choquée outre mesure par ces passages car non seulement je trouve Sophie franchement odieuse mais aussi parce que ces anecdotes témoignent d’une époque antérieure, le XIXème siècle. Rappelons que le fouet était un moyen de correction très répandu dans le milieu aristocratique de ce temps. L’éducation des enfants a heureusement nettement évolué depuis, tout comme nos valeurs vis-vis des bêtes (quoique pour certains cas ce sujet reste assez discutable). Il est douloureux de constater en effet que les animaux dans ces histoires n’aient pas plus de valeurs que de vulgaires jouets animés.

Le décompte des victimes de Sophie est impressionnant. Au fil de la lecture, j’ai fini par redouter l’issu des chapitres suivant, ne supportant plus d’assister aux souffrances des bêtes que décrit la comtesse de Ségur avec une pointe d’ironie : une tortue terrestre noyée dans un bassin, un écureuil lapidé à coups de pierre, un âne battu, un cheval affamé, sans oublier les poissons rouges de sa mère qu’elle découpe consciencieusement en morceaux ! Cette scène m’a d’ailleurs retourné l’estomac. Sophie fait souvent preuve d’une cruauté ignoble envers les animaux. La demoiselle un brin sadique, s’est mis dans la tête d’assaisonner sa salade qu’elle trouve trop fade et décide, après mûre réflexion, de saler les poissons vivants avant de les charcuter à coups de canif ! Une vraie boucherie ! Bien entendu, la petite pas si méchante que ça, est finalement prise de remord (et surtout de panique!) en les voyant agoniser silencieusement. Madame Réan lui pardonnera néanmoins ce massacre après avoir entendu la confession attendrissante de sa progéniture. Il semble que la devise « pêcher avoué, à demi-pardonné » soit très affectionnée dans la demeure des Réan.

Certes, il arrive à Sophie de regretter réellement ses mauvaises actions, de fondre en larmes en se réfugiant le visage contrit dans les jupes de sa mère mais cela ne dure jamais bien longtemps, le désir de transgresser les règles est trop jouissif et la voilà une fois de plus à l’ouvrage ! Autant vous dire que cette petite fille têtue qui accumule les bêtises à un rythme effréné m’a agacé. J’ai bien eu du mal à m’attacher à elle car elle tire rarement des leçons de ses infortunes qui sont d’ailleurs toujours le résultat de son caractère entêté. Le chemin vers sa rédemption reste donc tortueux…

Sophie a d’ailleurs presque tous les vices, elle est à la fois gourmande, paresseuse, voleuse et menteuse. Si le ton est avant tout guilleret, ces fables, tempérées par une morale très catholique, se révèlent le plus souvent acides. Malgré son ancienneté, cette œuvre de jeunesse n’a étonnamment rien perdu de son mordant. Le style de la comtesse de Ségur est gai et plein de légèreté, ce qui rend la lecture plaisante. Destinée aux petits comme aux grands enfants, cette lecture en apparence innocente s’est révélée riche de sens. L’apprentissage de la vie par Sophie n’est pas facile, les dérapages sont nombreux et pourtant, oui pourtant! Etrangement on ne peut que vouloir poursuivre la lecture des infortunes de ce petit démon, espérant la voir enfin  devenir une enfant sage.

Il me tarde à présent de lire la suite de ses mésaventures que j’ai déjà commandé via Price Minister. Je guette le courrier!

Un extrait : «Sophie tout à fait en colère lance de l’eau à la figure de Paul, qui, se fâchant à son tour, donne un coup de pied à la table et renverse tout ce qui était dessus. Sophie s’élance sur Paul et lui griffe si fort la figure, que le sang coule de sa joue. Paul crie ; Sophie, hors d’elle-même, continue à lui donner des tapes et des coups de poing. »

 

Cet article a été publié dans Classique français. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

23 commentaires pour Les Malheurs de Sophie

  1. folfaerie dit :

    Ah c’est sympa de lire une chronique soulignant cet aspect particulier du livre. Je lisais les Malheurs de Sophie quand j’étais gamine, et ces scènes me révoltaient d’autant plus que chez nous, les animaux ont toujours fait partie de la famille, même les sauvages ! Cette cruauté enfantine laisse quand même songeur…
    En tout cas, le Comtesse avait retrouvé grâce à mes yeux avec Les Mémoires d’un âne. Du coup, et encore aujourd’hui, je rêve d’avoir Cadichon dans mon pré :-))

    • missycornish dit :

      Il faut que je poursuive ma lecture, j’ai encore les deux autres volumes à lire mais je n’ai pas eu le temps. Il faut aussi que je lise Les mémoires d’un âne. Espérons que Sophie ne le traite pas de la même manière que celui du premier volume.

  2. J’ai toujours adoré les romans de la comtesse de Ségur et Les Malheurs de Sophie font partie de mes préférés! Mais dans cette saga c’est le volume  »Les Vacances » que je préfère! Une vraie chipie cette Sophie! Et tout comme toi j’adorais le dessin animé, que j’ai d’ailleurs visionné un grand nombre de fois! 😉 J’adore ta métaphore évoquant » la saveur douce et réconfortante d’un pain au lait et à un parfum chocolaté irrésistible », c’est tout à fait cela, les romans de cette grande dame se savourent^^

    • missycornish dit :

      Je n’ai pas encore lu Les vacances je l’ai oublié en Angleterre mais je vais m’y plonger dès que possible car c’était vraiment une lecture coup de cœur!

  3. Léna dit :

    Je regardais souvent le dessin animé étant petite aussi 🙂 Mais je ne me souviens pas que Sophie y était aussi sadique… Il me semble que sa mère y est une personne très douce, non ? Ou alors je me trompe de dessin animé ^_^

  4. Angie dit :

    Bonjour,

    J’ai vu sur votre site web que vous chroniquiez des romans. J’ignore si ce nom vous dit quelque chose, mais l’auteur Marie Caron vient de publier un drame répondant au nom de : « Maintenant et à travers les temps ». Je vous laisse découvrir ci-après le synopsis :

    Un soir de janvier glacial et enneigé, Antoine Morel, chirurgien à l’hôpital Saint-Gabriel, emprunte, comme chaque jour, la nationale 67 qui le ramène chez lui, au Mont Cassel. Pressé de retrouver la chaleur de sa demeure, Antoine oublie ce soir-là ses règles de bonne conduite et devient le pantin d’une mauvaise attraction. Quand il se réveille à l’hôpital quelques heures plus tard, il découvre avec stupeur qu’il a mis une vie en danger. De qui s’agit-il ? Est-ce l’œuvre de Kismet* ? 

    *Kismet : terme utilisé en turc et dans le monde arabe pour se référer au destin.

    Je vous communique également des liens susceptibles de vous intéresser :

    http://www.mariecaron.net/

    http://www.amazon.fr/Marie-Caron/e/B00EDH2YBE/ref=ntt_dp_epwbk_0

    http://www.facebook.com/Marie.Caron.Ecrivain

    En effet, vous trouverez ma démarche sans doute audacieuse ou culottée… mais, je suis les actualités de cette romancière depuis ses débuts et je dois avouer que ses écrits mériteraient qu’on fasse sur eux la lumière qu’ils méritent. J’ai été bouleversé par l’histoire d’Antoine Morel et je vous invite à découvrir ce récit. J’ignore quel genre de livre vous aimez, mais comme il m’est arrivé de le lire ou de l’entendre : il ne faut pas seulement donner aux lecteurs ce qu’ils aiment mais aussi ce qu’ils pourraient aimer. Je trouve que ce serait vraiment formidable pour cette auteure qu’on parle de son livre et d’en faire une chronique.

    J’espère ne pas vous avoir déranger avec ce message. Je comprendrai que vous puissiez ne pas apprécier les posts « publicitaires ».

    Mais, vous savez ce que c’est, quand on est fan de quelqu’un… 🙂

    Je vous souhaite une bonne journée,

    Amicalement,

    A.

  5. La Gueuse dit :

    Au risque de choquer les fervents défenseur de nos amis les bêtes, un peu d’indulgence que diable ! Sophie n’est pas plus méchante qu’une autre, l’enfance est cruelle c’est tout… Ah la série TV qu’on voyait à la TV je me souviens encore de cette réplique : « voulez-vous du tea Paul? » (prononcez « pôle »). Certes ce n’est pas la réplique la plus intéressante de la série mais c’est celle qui m’a fait de l’effet gamine…

  6. Edmée dit :

    Mais quelle horreur que cette Sophie. Je ne pense pas l’avoir lu et pour cause: je doute que ma mère, qui nous laissait dormir avec chien et chat, caresser les souris (blanches ou les musaraignes tombées dans la huche à grain) aurait pensé que nous allions nous amuser avec cette petite tortionnaire.

    Mais c’est certainement intéressant de voir, en effet, combien les peccadilles d’alors sont effarantes aujourd’hui, et combien les animaux étaient considérés … sans importance!

  7. dominique dit :

    Moi aussi j’avais oublié que Sophie était méchante à ce point! je me rappelle les Petites filles modèles; à ce moment-là, Sophie n’a plus que sa belle-mère comme parente,l’horrible Mme Fichini,et cette dernière la fouette et l’insulte sans arrêt.

    • missycornish dit :

      Ah du coup cela doit la rendre plus attachante! J’ai hâte de connaître la suite. D’ici quelques jours je devrais pouvoir me replonger dans ses aventures.Donc ses parents sont morts?

      • dominique dit :

        J’ignore s’ils sont morts;en tout cas, elle est « élevée » par sa méchante belle-mère, et en effet,elle apparaît davantage mal éduquée et victime de mauvais traitements que réellement méchante. L’intérêt des Petites filles modèles, c’est voir ce que devient Sophie qui est aussi amenée à fréquenter des gamines un peu trop sages à mon goût… je ne dévoile pas la suite. Je dois avoir lu presque tous les romans de la fameuse Comtesse entre 6 et 9 ans!

        • missycornish dit :

          Je n’ai pas résisté à la tentation de me plonger dans la suite des aventures de Sophie. J’ai reçu il y a deux jours Les petites filles modèles. Effectivement elles sont trop parfaites mais bon, Sophie est toujours une tête à claques pour le moment. Bref, c’est super à lire!

  8. Catherine dit :

    Oh oui les malheurs de Sophie je les avais lus aussi et puis je me souviens du dessins anime comme toi mais aussi du film. La scene avec les poissons rouges est attroce effectivement. Elle etait quand meme pas sympa cette sophie. Dans un esprit totalement different j’ai prefere la petite maison dans la prairie, Heidi que j’ai adore et aussi, pour ceux qui connaissent, princesse Sarah et puis aussi les livres de Malory School d’Enid Blyton.

    • missycornish dit :

      Merci pour ces nouvelles idées de lecture Catherine! Je me souviens de la série télévisée La petite maison dans la prairie mais je lirai bien le livre un jour. Sinon les quatres filles du Docteur March dans la même veine me tentent. Princesse Sarah j’en ai entendu parler, c’est un manga je crois.

      • Catherine dit :

        J’aimerais moi aussi relire ces livres de nos enfances. Alors pour la petite maison dans la prairie, ne te fais pas avoir, il y a au moins 12 volumes! Oui! Comme Heidi d’ailleurs, y en a pas mal. Les 4 filles du docteur march oui il faudrait que je le relise aussi. Pour Princesse Sarah c’etait un manga du club dorothee oui et en anglais c’est Little Princess de Frances Hodgson Burnett qui est gratuit sur Kindle. La version francaise etant Princesse Sarah que j’avais lu etant enfant apres la serie (tu peux taper dans google princesse sarah pour voir les images, tu as forcement du regarder ca! moi j’etais fan!!)

  9. Mdebrigadoon cottage dit :

    Oulà on remonte le Mékong ….. Bien le choix de la chronique , j’ai adoré les Malheurs de Sophie , j’ai lu toute la série dans mon jeune temps !!!! Je trouve que c’est une très bonne idée de déstocker de vieilles oeuvres .

    • missycornish dit :

      Oui c’est bien non de dépoussiérer un peu ces incontournables. Dommage que la nouvelle génération ne puisse apprécier ces oeuvres trop éloignées de leur éducation. Elles doivent être trop désuet à lire pour de jeunes enfants.

  10. J’ai lu tres assidument la comtesse de Ségur quand j’étais petite mais j’avais completement oublié qu’elle était aussi mauvaise petite fille. Pourtant j’ai plein d’images qui me sont restées dans la tete – les yeux de la poupée en cire qui disparaissent, l’épisode des poissons rouges, la gouvernante dont le nom me paraissait bizarre (Pélagie?)… Et puis tous les autres livres, Gribouille qui se met dans l’eau pour se protéger de la pluie, Jean qui pleure et Jean qui rit, les contes de fées. Tous ces livres ont surement contribué a ma formation de lectrice mais je doute que j’aurais le courage de m’y replonger!

    • missycornish dit :

      Je t’assure qu’on s’y replonge facilement. Moi j’ai juste pris le livre sur l’étagère de la bibliothèque et je n’ai plus réussi à décoller de mon fauteuil. Un vrai régal!

  11. alexmotamots dit :

    Je les trouvais trop parfaite, ces petites filles modèles, elles m’énervaient.

    • missycornish dit :

      Je ne les connais pas encore mais si elles sont comme Paul, l’antagoniste de Sophie, elles doivent être un peu agaçantes. D’un autre côté je n’aimerais pas avoir pour fille Sophie, je pense qu’elle aurait pris pas mal de fessées…

  12. Armelle dit :

    Je me souviens ne pas avoir eu de réelle sympathie pour Sophie, lui préférant de beaucoup Camille et Madeleine, soit les petites filles modèles et les vacances. Mais je ne me souvenais pas qu’elle torturait à ce point les animaux et particulièrement les poissons. Alors là, elle me devient définitivement odieuse. Je me rappelle aussi du bon petit diable et du général Dourakine. Ces lointains souvenirs m’assurent que, comme toi, j’aimais déjà la lecture.

Répondre à misspendergast Annuler la réponse.

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s