La légende de Bloodsmoor (ou Beaucoup de bruit pour rien)

Voilà un roman gothique que j’avais programmé de lire avec mon amie Lili du blog La Marchande de Prose. J’étais très enthousiaste à l’idée de découvrir cet auteur incontournable de la littérature contemporaine américaine, et en particulier après avoir lu des critiques élogieuses sur son roman Blonde. J’avais d’ailleurs débusqué ce titre à la librairie Gibert Jeune lors d’une escapade parisienne où ma chasse aux livres avait été très fructueuse.

la légende de Bloodsmoor

Mes yeux s’étaient tout de suite attardés sur la magnifique couverture représentant le tableau aux couleurs pastelles de quatre femmes qui auraient très bien pu appartenir au décor romantique d’une adaptation cinématographique austenienne.

L’histoire de la légende de Bloodsmoor se déroule à la veille du XXème siècle en Pennsylvanie. Le lecteur suit l’évolution des Zinn, une famille respectable aux codes de conduites surannés. Le Père, John Quincy, un brillant scientifique, accessoirement puritain, s’est voué corps et âmes dans ses recherches pour devancer son ennemi juré, le célèbre Edison, en inventant la redoutable chaise électrique. Un procédé, suggéré subtilement par son épouse Prudence. Cette idée est certes peu orthodoxe et mercantile, mais se révèle tout de même moins barbare qu’une exécution traditionnelle à la hache ou à la guillotine qui, reconnaissons-le est désagréablement salissante (ce qu’aurait très bien pu vous dire cette charmante femme!). Tandis que Monsieur Zinn, qui, reclus dans son atelier, poursuit ses travaux avec acharnement et que sa femme s’évertue à mener l’existence oisive qui sied à son rang, ces derniers ne réalisent pas que leurs demoiselles sont sur le point de prendre leur destin en main malgré elles. Les murs de la prison dorée retenant les jeunes filles vont peu à peu s’effriter pour finalement céder sous le poids des bouleversements. Cette évolution sera amorcée par la disparition soudaine et énigmatique de Deidre des Ombres, la cadette, une enfant adoptée et indésirable, qui sèmera le trouble au sein du cocon familial, plongeant successivement tous ses membres dans la déchéance et le déshonneur.

Avant de vous livrer mon opinion, j’aimerais attirer une fois de plus votre attention sur la couverture dont la signification m’a laissée un peu songeuse. Si ce roman relate le parcours tumultueux de cinq héroïnes et de leur famille, le lecteur attentif remarquera que l’illustration n’en présente que quatre comme pour lui rappeler que l’une d’entre elles demeurera toujours indésirable aux yeux des autres. Je ne sais toutefois si ce détail est voulu ou si l’éditeur a une fois de plus oublié l’une des filles. En effet, je profite de l’occasion pour donner une « petite tape » sur les doigts de l’éditeur qui a omis d’évoquer dans son résumé le destin d’Octavia et une seconde au traducteur pour avoir « subtilement » remplacé romance en anglais par légende en français. Pourquoi donc ce contresens saugrenu ? Le titre n’était-il pas assez accrocheur ?

Cessons les mystères, voici mon ressenti:

Cette saga familiale à l’intrigue décousue n’a malheureusement pas été à la hauteur de mes espérances. Joyce Carol Oates a certes des lettres et elle ne se prive pas de le montrer tout au long de son œuvre, parsemant sa narration déjà bien encombrée de détails inutiles, d’extraits de poèmes d’illustres littérateurs, l’exemple des vers de Keats dont elle semble se délecter. L’écrivaine raffole également de la technique du « name dropping » dont elle use et abuse. En effet, elle cite de nombreux personnages de renom tels que Mark Twain, dont elle fait dans ce récit un personnage bedonnant, coureur de jupons et fortement misogyne. Ses traits de caractères sont si grossiers qu’ils en sont grotesques. Je n’ai trouvé aucune figure féminine attachante : Constance Phillipa métamorphosée en cow-boy du Far West fut la cerise sur le gâteau de cette histoire ridicule, et a conforté mon opinion déjà bien négative. Deidre, l’enfant chétive, la Cosette incomprise, affichant toujours une mine lugubre et revêtant l’habit d’une veuve corse est irritante à force de simagrées et ce, malgré sa personnalité extravagante. En effet, cette dernière communique inlassablement avec le monde des morts. J’espérais d’ailleurs que son talent de médium soit bien plus exploré mais, une fois de plus, la romancière s’est lancée dans des prolepses trop précipités.

Malvinia est une Sarah Bernhard démoniaque (à noter que son alter-égo « la bête », symbolisant son appétit insatiable pour la chair, m’a bien fait rire), Samantha est tout simplement insipide, l’auteur lui donne une certaine consistance dans les derniers chapitres en l’embellissant comme pour s’excuser de l’avoir négligée tout au long de l’histoire. Quant à Octavia ses petites minauderies de pucelle effarouchée m’ont laissé de marbre tout comme son époux et ses pratiques SM (sado-maso). Seule sa mort dans des conditions pour le moins absurdes (le mari pervers succombera de plaisir, un foulard étrangleur autour du cou, qu’Octavia, sa tendre épouse a noué avec un peu trop de ferveur) a réussi à m’arracher un faible sourire. Mais, à mon grand regret, l’idée a été mal troussée. J’adhère moyennement à l’humour pince-sans-rire de la romancière.

La trame est le plus souvent maladroite, et certaines énigmes resteront irrésolues jusqu’à la dernière page, au grand désarroi du lecteur. Qui a donc enlevé Deidre, l’emportant à bord d’un objet volant non identifié, une sorte de ballon noir « hors la loi » (oh lala, pardonnez cette rime pauvre et mon humour débridé !) venu survoler la pelouse irréprochable du château de Kiddmaster, la grande propriété familiale ? (Ouf! On reprend son souffle…)

Certes, l’ironie de l’écrivaine est toujours présente en filigrane, je n’ai toutefois nullement apprécié cette écriture dont le style pompeux m’a paru bien irritant. Joyce Carol Oates a largement puisé son inspiration dans les œuvres de Dickens et en particulier dans sa plume précieuse et redondante. Il est vrai que l’auteur a su recréer tout un univers où foisonnent des personnages tous invraisemblables et hors du commun mais c’est peut-être là que le bât blesse. Le portrait de ses protagonistes reste trop lisse, aucun d’entre eux n’est suffisamment exploité. Il y aurait eu tellement de possibilités d’écriture, tellement de personnages que la romancière aurait pu rendre mémorables. Les demoiselles Zinn aurait gagné en épaisseur si elles n’étaient pas toutes aussi sottes. Leur conversation autour d’une tasse de thé (un clin d’œil à Jane Austen?), et de napperons brodés, est la plupart du temps affligeante et leurs préoccupations sont bien triviales. Elles ne se soucient guère que de leur apparence même si elles vont  finalement défier les tabous de leur société et se défaire de leurs morales étriquées, comme le lecteur s’y attend, et ce, de manière radicale. Cependant, leur métamorphose spirituelle est trop expéditive et exagérée, elle ne se fait jamais graduellement. Il y a donc à la fois des longueurs ennuyeuses sur des événements banals et des ellipses sur des passages de la vie des protagonistes supposés pour nous lecteurs modernes, des éléments pourtant essentiels pour la compréhension de l’histoire.

Si certains lecteurs trouveront l’écriture de cette romancière géniale, pour ma part, les descriptions sommaires sont à mes yeux une facilité empruntée aux styles anecdotiques de Dumas et de Dickens qui, eux, avaient coutume d’écrire en hâte et de manière épisodique pour des revues hebdomadaires. Leurs redondances n’étaient pas à proprement parler voulues, leurs histoires étant publiées au compte goutte, il leur fallait résumer la trame en quelques lignes à chaque nouveau chapitre afin que le lecteur ne se perde pas dans la foule des personnages toujours plus grande et dans la multitude de péripéties toujours plus rocambolesque. Rien à voir avec l’œuvre de Joyce Carol Oates qui elle se contente de nous appâter avec des bribes d’intrigues toutes plus fumeuses les unes que les autres.

Au final, je me suis demandée si nous n’avions pas affaire à une farce littéraire? Si tel est le cas, l’exercice est réussi, reste que les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures.

Il y a tant à dire sur ce roman et sur ses faiblesses que je pourrais encore écrire davantage au risque de vous ennuyer. Cependant si vous souhaitez discuter de cette œuvre, le débat est ouvert. J’attends avec impatience vos réactions.

Lili du blog La petite marchand de prose n’a pas eu tout à fait le même ressenti que moi et en parle en termes plus chaleureux. Son billet est ici. Je doute que je poursuive la série gothique de Joyce Carol Oates mais lirai tout de même prochainement Blond.

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17 commentaires pour La légende de Bloodsmoor (ou Beaucoup de bruit pour rien)

  1. Une Comète dit :

    Il est dans ma Pal et c’est un auteur que j’apprécie beaucoup beaucoup. Tu devrais essayer des romans non gothiques, comme » Nous étions les Mulvaney », absolument magnifique. Et ses nouvelles sont excellentes aussi !

  2. DF dit :

    Je n’a jamais lu cette auteure, même si j’en ai souvent entendu parler… Pas sûr, après lecture de ce billet, que j’aie envie de m’y plonger. Il y a tant de livres…

    • missycornish dit :

      Oui j’ai trouvé que j’avais un peu perdu mon temps. C’était bien décevant pour moi. Mais bon, certains ont apprécié cette lecture. Peut-être suis-je trop difficile.

  3. la Gueuse dit :

    si tu s en mal de romans gothiques, va jeter un coup d’oeil là
    http://www.goodreads.com/list/show/1230.Best_Gothic_Books_Of_All_Time?page=1

  4. maggie dit :

    Je le lirai quand même malgré tous les défauts que tu soulignes, par curiosité. Mais peut-être ue je lirai dans l’ordre la trilogie….

  5. Ce roman fait partie d’une trilogie dont il est d’ailleurs le deuxième tome, c’est peut-être pour cela que tu es restée sur ta fin. Le tome 1 est « Bellefleur » et le tome 3 est « Les Mystères de Winterthurn » 😉 !

    • missycornish dit :

      Je pensais que l’on pouvait lire les romans dans le désordre et qu’ils étaient tous les trois des romans gothiques mais qu’ils ne suivaient pas les mêmes personnages.

  6. alexmotamots dit :

    C’est déjà ce que je n’avais pas aimé dans « Blonde » : l’auteure écrit bien et nous le fait savoir. Du coup, cela m’a très vite lassé.

  7. M de Brigadoon Cottage dit :

    Je ne connais pas cet auteur , mais une chose est certaine , si le commentaire sur Blonde est aussi mauvais je ne perdrais pas mon temps à l’explorer .Mais par acquis de conscience je vais aller jeter un oeil sur l’article de Lili , c’est toujours intéressant de de comparer les arguments .. En tout cas bel article !

    • missycornish dit :

      Oui Lili a écrit un super article, elle a aimé le roman mais elle parle aussi de ses faiblesses. Nous avions discuté par mail autour de cette lecture et il y aurait eu encore beaucoup à dire sur ce sujet.

  8. Syl. dit :

    Quelle chronique ! J’aurais été attirée moi aussi par cette couverture. Je ne pense pas le lire pourtant. Oates écrit vraiment sur tout !

    • missycornish dit :

      Oui c’est peut-être le problème. J’ai hâte de voir son style pour Blond, j’espère ne pas être déçue. Le sujet m’intéresse alors je vais me laisser tenter.

  9. Lili dit :

    Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il en prend pour son grade héhé ! N’empêche que pour quelqu’un qui n’a pas apprécié, tu en ponds une chronique très intéressante, chapeau pour ce travail !
    Comme quoi, deux lecteurs peuvent avoir un regard très différent sur une même oeuvre. C’est la première fois que je faisais une LC où les avis finaux sont aussi contrastés : c’est enrichissant de pouvoir lire ainsi des commentaires si opposés mais tout aussi argumentés !
    J’espère que la prochaine fois qu’on se choisira une LC, elle sera tout de même plus agréable pour toi !
    Bisouxx douxx¨¨**

  10. Aaliz dit :

    Ouh la bah je crois que je vais passer mon chemin sur celui-ci. Je n’ai lu que 2 romans de Oates ( Les chutes et Blonde) que j’avais vraiment beaucoup appréciés. Celui-ci m’attirait pour le côté gothique justement mais d’après ce que tu en dis, ça a l’air plus ridicule et niais qu’autre chose.

    • missycornish dit :

      Si tu as déjà apprécié certains de ses titres, peut-être aimeras-tu ce roman. Lili en parle aussi et elle a trouvé l’écriture excellente. J’ai mis son lien si tu veux à la fin de l’article.(je ne sais pas si tu es déjà allée la voir).

      Je n’ai pas les Chutes mais j’ai Blonde donc je vais le lire en premier mais j’attends un peu, il faut que je digère la Légende de Bloodsmoor.

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