La femme d’à côté

Après avoir découvert le coffret des meilleurs films de Truffaut dont l’adaptation cinématographique du livre Jules et Jim, j’ai eu envie de vous parler deLa femme d’à côté, un film qui m’a ébloui. Certes, au premier abord, il n’a rien à voir avec la littérature. Cependant, tout comme les films de Jean-Luc Godard, ceux de François Truffaut sont caractérisés par une forme de narration addictive, une voix off qui nous conte une histoire et nous présente des personnages comme si on les découvrirait pour la première fois à la lecture d’un roman.

François Truffaut était avant tout un homme de lettres. D’ailleurs, ses acteurs déclamaient souvent des citations ou fragments empruntés au théâtre, à la poésie, à la chanson ou même aux romans. La femme d’à côté pourrait à mon sens être une alternative française au roman les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë. Le drame pointe dès le début du film sous le témoignage de Mme Odile Jouve, la gérante du club de tennis du village. Elle est le personnage secondaire dont la voix off sert à amorcer l’histoire tout comme le fait l’ancienne nourrice de Catherine Earnshaw dans le roman d’Emily Brontë.

La trame du film, la femme d’à côté, est minimale. Dans un petit village grenoblois paisible, Bernard Coudray, mène une vie tout ce qu’il y a de plus banale et tranquille aux côtés de sa femme Arlette et de son jeune fils Thomas. Aucun nuage ne semble obscurcir le ciel de cet homme comblé. Pourtant, sa vie bascule lorsque de nouveaux locataires, Philippe et Mathilde de Beauchard, emménagent dans la maison d’en face. Avec son passé trouble et ses souvenirs douloureux, cette voisine à la beauté ténébreuse, va faire renaître une passion dévastatrice dont Bernard pensait s’être depuis longtemps remis.
Les personnalités tourmentées sont très bien esquissées. Un coup de maître pour ce réalisateur qui met une fois de plus si bien en exergue toutes les nuances des passions humaines. Beaucoup de scènes sont symboliques, et notamment celle des chats qui est très équivoque. Elle se profile comme un mauvais présage. Lorsqu’à la tombée de la nuit, Arlette écoute les chats faire du remue-ménage dans le jardin, Bernard lui dit :
« Ils se battent » et elle lui répond le sourire aux lèvres : « Non, ils font l’amour ». Ce court dialogue reflète bien le lien particulier qui noue les deux amants. De bout en bout, Bernard et Mathilde jouent au chat et à la souris. Ils s’évitent, se cherchent, s’aiment, se querellent ou bien se déchirent. Rongés par leur désir, ils en deviennent fous, agressifs et même dangereux pour eux-mêmes.
Mathilde sous les traits de Fanny Ardant, sublime, est très hitchcockienne dans son caractère. Seule grande différence, la couleur de sa chevelure brune, en opposition à la blondeur Hollywoodienne, un choix judicieux pour nous rappeler que le film est bel et bien français et non américain. Madame Jouve le souligne elle-même lorsqu’elle ne peut s’empêcher de glisser ses doigts dans les cheveux de Mathilde. Elle n’est pas comme toutes ses filles fausses que l’on voit dans les spots publicitaires ou au cinéma, c’est une femme vraie évoluant au cœur du réel.
Toutefois, Mathilde dont le prénom résonne comme celui d’une grande héroïne de roman, est une femme passionnée, peut-être même trop pour son époque. Son nom de famille tout comme ses manières classieuses nous indique qu’elle appartient à la vieille bourgeoisie. Illustratrice et écrivaine de livres pour enfants, elle est créative et déborde d’imagination, à l’opposé de Bernard, homme tout ce qu’il y a de plus commun et dont la profession d’instructeur de bateau fait peu rêver. L’époux de Mathilde, comme Bernard, exerce également un métier très terre-à-terre. Philippe n’est pas pilote d’avion mais « aiguilleur du ciel ». Pendant que d’autres s’envolent vers de nouveaux horizons, lui passe ses journées assis sur une chaise. Ces deux hommes très modernes sont hermétiques au chagrin de Mathilde, ils s’en soucient mais ne peuvent réellement la comprendre car ils n’évoluent pas dans le même univers.
La présence de Mathilde dans une campagne rustique et étriquée laisse songeur. Le dialogue entre Bernard et sa femme à son sujet, l’illustre bien. Arlette dit à Bernard lorsqu’ils s’apprêtent à se coucher :
« Tu ne trouves pas qu’elle est belle sa femme, moi je trouve qu’elle a un côté tout à fait inhabituel »  Bernard contrarié lui répond :
« Si tu veux mon avis, moi je trouve qu’elle détonne. si, tiens regardes nous on est venu habiter ici, il y a de la terre, des arbres, des pierres, enfin rien que des choses vraies (il soupire, l’air pensif) alors qu’est-ce qu’elle vient faire ici cette femme là ?). »
C’est la question que l’on se pose durant tout le film. Cet échange d’impressions est significatif car il nous donne un indice sur la nature des sentiments de Bernard pour Mathilde. Il la déifie, pour lui, elle est une créature, une chose qui appartient au domaine du songe. Elle est comme une chimère inaccessible qui n’a pas sa place dans le réel. En apparence, Bernard est un homme calme plutôt gentil mais lorsqu’apparait Mathilde, sa personnalité est altérée. On perçoit son impatience, son attente, son caractère possessif et sa jalousie qu’il peine de plus en plus à cacher, jusqu’à l’accès de rage qui le rend aussi brutal qu’une bête enragée.
Ce film est remarquable, parce qu’il représente ce que le cinéma français fut naguère : du grand art. La femme d’à côté est un long-métrage qui a été réalisé durant les années 80, en un temps record, seulement six semaines. C’était l’époque où l’on pouvait encore faire un film à taille humaine en province, c’est-à dire avec très peu d’acteurs et muni d’une équipe mobile. C’était aussi, l’époque où la jeune comédienne Fanny Ardant faisait pour la première fois son entrée au cinéma après qu’elle ait illuminée de sa présence le magnifique téléfilm de Nina Companeez, les Dames de la côte. Une série qui m’avait bouleversée et que je revois toujours avec plaisir. Dans ce film, Fanny Ardant brigue une fois de plus l’amour absolu. Et même si son jeu présente encore des maladresses dût sûrement à son manque d’assurance, c’est indéniable, elle crève l’écran. Ses traits sont irréguliers mais pourtant cet ensemble forme un visage harmonieux. Peu d’actrices aujourd’hui, bien que jolies peuvent se vanter d’être de vraies beautés. Fanny Ardant a un regard noir, intense et électrique qui la fait rayonner. L’épouse de Bernard parait d’ailleurs très fade à ses côtés. La comédienne porte bien son nom, elle est ardente et passionnée. Bouleversante, son chagrin d’amour m’a ému. Les sentiments sont poussés à l’extrême et il est douloureux de la voir sombrer lentement dans la dépression.
C’était aussi le temps où Gérard Depardieu jouait encore bien et nous prouvait que sa place parmi les grandes stars du cinéma français était justifiée. Le temps où le jeu des acteurs était simple mais juste et les dialogues dits avec naturel. Sans oublier la bande-originale de George Delarue qui est excellente.
Toutes les scènes s’imbriquent graduellement pour atteindre le point de chute: la mort. « Dans l’amour, il y a un début, un milieu et une fin », une citation favorite de François Truffaut qui l’emploie également dans les deux anglaises et le continent. Le réalisateur est très pointilleux dans ses dialogues, chaque phrase prononcée compte. Truffaut suggère qu’au-delà de l’argent ou des conventions régis par notre société, sans amour on n’est rien. L’histoire relate subtilement la souffrance d’un grand amour impossible à vivre dont il est encore plus dur de se défaire.
En bref:
La femme d’à côté, c’est un grand film d’amour intemporel qui aurait très bien pu se dérouler à une autre époque ou dans un autre lieu. C’est l’histoire d’amants inextricablement liés l’un à l’autre. « No one loves quite like the French do » (personne n’aime vraiment comme les français) disent les britanniques et ils ont bien raison. Ce long-métrage peut être difficile à comprendre car il recèle de nombreux symboles et références culturelles françaises. Toutefois, cela reste un très beau film. A la fois triste, dérangeant et vertigineux, il nous raconte l’histoire desespérante d’une liaison adultérine dont l’issue dramatique est inévitablement fatale. Comme le conclue Madame Jouve, cette tragédie aurait pu s’intituler : « Ni avec toi, ni sans toi ».
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