Le treizième conte

Diane-Setterfield--Le-treizieme-conteMargaret Léa, bouquiniste et biographe à ses heures perdues, reçoit une lettre mystérieuse de Vida Winter, une romancière au succès planétaire qui aurait publié plus d’une centaine de best-sellers. Cette dame âgée et souffrante la sollicite pour écrire ses ultimes mémoires et lever le voile sur sa dernière œuvre inachevée, Le treizième conte. Elle souhaite enfin révéler la vérité sur son passé dont elle a souvent donné des versions trop édulcorées à la presse. Margaret, intriguée par la personnalité insolite de cette auteure prolifique accepte finalement cette requête ambitieuse. Mais en écoutant le récit fantasque de l’écrivaine, elle commence à douter de la véracité des faits : se peut-il qu’une fois de plus Vida Winter mente sur ses origines?

Déjà dix ans que ce livre trône sur mes étagères, ballotté d’un pays à l’autre au gré de mes déménagements successifs. Comment ai-je pu, si longtemps, passer à côté d’un tel bijou ? Diane Setterfield a un talent inné de conteuse, son récit est captivant. Impossible de poser ce livre sans vouloir tourner une nouvelle page. A la manière d’un classique britannique, le style de cette œuvre est d’une fluidité exceptionnelle. L’écrivaine anglaise nous livre ici un roman gothique magnifique à l’intrigue très originale. J’ai pris beaucoup de plaisir au fil des pages à remarquer les nombreuses références aux classiques britanniques du XIXème siècle car la romancière connait parfaitement ses lettres, ayant été par ailleurs professeur de littérature française avant de se consacrer à l’écriture. J’ai notamment relevé un petit clin d’œil aux nouvelles fantastiques d’Henry James en la personne d’Hester, cette institutrice inquisitrice à l’imagination débordante qui n’est pas sans rappeler la gouvernante hystérique du Tour d’écrou. Une allusion qui m’a bien fait sourire.

En outre, on retrouve les caractères principaux du genre gothique traditionnel des grandes œuvres romanesques d’Ann Radcliffe : une atmosphère passablement anxiogène et une demeure délabrée – la propriété d’Angelfield – où une famille d’aristocrates décadents, le symbole du déclin progressif de cette lignée souffreteuse, vit à l’écart du reste du monde dans la campagne reculée de l’Angleterre des années 30-40. Le lecteur découvre à travers le récit que Vida Winter fait de son enfance, l’histoire étrange de jumelles à la chevelure flamboyante qui communiquent à l’aide d’un dialecte secret qu’elles ont-elles-mêmes inventé. Ces deux petites filles prénommées Adeline et Emmeline, pourtant physiquement identiques, possèdent chacune une personnalité bien distincte : la première est foncièrement méchante, l’autre douce, aimante et bien souvent soumise à sa sœur. Nous sommes de ce fait très vite plongés dans l’ambiance claustrophobe des Hauts de Hurlevent, de Rebecca, tout comme de Jane Eyre. Cette dernière œuvre, de surcroît, tient une importance capitale dans ce roman. Je ne voudrais pas vous révéler laquelle, au risque de trahir le dénouement. Par ailleurs, les parents des deux petites filles, toujours livrées à elles-mêmes, ressemblent à s’y méprendre aux personnages d’Heathcliff et de Catherine Earshaw dans l’œuvre d’Emily Brontë. Charlie et sa sœur cadette Isabelle Angelfield entretiennent une relation ambivalente qui est essentiellement basée sur la douleur. Ce lien incestueux des plus malsain déteint sur leurs enfants, fruits de leurs amours défendus et marquera au fer rouge leur existence…

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J’ai trouvé tous les protagonistes de cette histoire particulièrement fouillés. En dépit de leur caractère inquiétant, ces personnages sont toujours touchants. Comment ne pas être bouleversé par le sentiment indéfectible qui lie Emmeline à Adeline ? Ensemble elles ne forment qu’un tout, lorsqu’elles sont séparées, une vague de chagrin les saisit, et elles se retrouvent complètement perdues. J’ai aussi beaucoup aimé Margaret, elle aussi passionnée de livres ;  appréciant davantage la compagnie des morts à celle des vivants, notre héroïne vit en effet recluse avec son père dans leur modeste librairie de livres anciens. Tout comme Vida Winter dont elle écoute les confessions, elle traîne aussi le fardeau d’un drame familial secret qui la ronge. L’auteur explore ainsi le traumatisme d’une enfance malheureuse qui a conduit la narratrice à devenir une grande écrivaine pour exorciser ses démons intérieurs.

Bien que le roman soit hautement inspiré (notons que l’une des héroïnes se nomme Adeline comme la victime Des mystères de la forêt d’Ann Radcliffe, ce choix  de prénom ne peut être anodin), Diane Setterfield parvient tout de même à s’éloigner de ses modèles littéraires en apportant sa propre touche. D’emblée, j’ai été happée par l’intensité du récit, si bien qu’il m’a été difficile de me plonger par la suite dans de nouvelles lectures. Cette œuvre singulière vous surprendra autant qu’elle vous enchantera. Je dois bien l’admettre, la fin m’a soufflée.

Seul léger bémol cependant, les deux derniers chapitres qui clôturent le roman sont à mon sens un tantinet bancals. Il semble que l’auteure ne savait plus vraiment comment conclure son œuvre. Ces dernières pages n’étaient finalement pas utiles au dénouement de l’intrigue, elles semblent avoir été ajoutées à la dernière minute et paraissent un peu trop brouillonnes à mon goût. Néanmoins, ce petit point noir n’a en rien entravé mon plaisir de lecture. Le treizième conte reste pour moi un grand coup de cœur qui entre en résonnance avec l’univers fantasmagorique des œuvres de Carlos Ruiz Zafón. J’ai visionné l’adaptation télévisée de la BBC de 2013 et ne comprends pas encore une fois pourquoi elle reste si méconnue des téléspectateurs français. Elle mériterait davantage d’attention et devrait être diffusée sur nos chaînes nationales. La performance de Vanessa Redgrave qui incarne à l’écran Vida Winter est tout bonnement excellente.

En bref : un conte pour adulte brillant, respirant le confinement et la solitude, mais aussi un hommage vibrant à la littérature anglaise classique. Ce tout premier roman audacieux s’est révélé un véritable tour de force littéraire. Sans conteste, du grand art, comme seuls les Anglais savent le faire… Nul doute que ce chef-d’œuvre envoûtant, aux frontières du fantastique, à la manière des histoires de fantômes d’Henry James dont je raffole, occupera une place de choix dans ma bibliothèque.

La bande-annonce de la version de la BBC :

Ma première étape du « Challenge Halloween« .

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Cet article a été publié dans Classique britannique, Lire du fantastique, roman gothique, Saga familiale. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

34 commentaires pour Le treizième conte

  1. maggie dit :

    J’ai un vague mais excellent souvenir de ce roman qui effectivement semble faire référence à plein d’autres romans…. Surtout je note l’adaptation par la BBC. Je ne l’ai pas vue !

    • missycornish dit :

      L’adaptation est vraiment bien même si le livre est nettement supérieur. Le film serait idéal pour la saison de Noël. J’ai pour ma part passé un agréable moment et le visionnerai à nouveau avec grand plaisir.

  2. Il a l’air top ! Encore une autre découverte sur ton blog ! 🙂

  3. LaGueuse dit :

    Ce livre est vraiment à lire. Un vrai hommage au gothique. Mais je suis d’accord avec toi, on se serait passés des derniers chapitres, ils sont très faibles

  4. Lili dit :

    Miam ! Moi qui adore les bouquins gothiques, c’est terriblement alléchant !

  5. Mya Rosa dit :

    Voilà qui est diablement tentant ! Il faut vraiment que je prenne le temps de découvrir ce roman. Il a l’air fabuleux !

  6. Tout comme toi, j’ai beaucoup apprécié cette lecture ! Il fait d’ailleurs partie de mes coups de coeur littéraire 🙂 Par contre, je ne savais pas qu’il en avait fait un film, je suis vraiment curieuse de la voir ! Merci pour l’info 🙂

    • missycornish dit :

      Je t’en prie. J’ai beaucoup aimé l’ambiance du téléfilm de la BBC (j’adore les adaptations anglauses), les acteurs sont excellents et pourtant il y a peu de moyens, aucun effets spéciaux. J’ai complètement adhéré à l’histoire de ses soeurs, j’ai même versé ma petite larme… une hustoire émouvante qui rappelle beaucoup Jane Eyre que je relirai bientôt avec plaisir dès que j’aurais terminé Rebecca.

    • missycornish dit :

      C’est un super livre, je ne comprends pas comment j’ai pu passer si longtemps à côté de ce livre!

  7. J’avais passé un très bon moment avec ce roman. Maintenant mes souvenirs sont un peu confus, il faudrait que je le relise avant de tenter l’adaptation de la BBC que je ne connais pas encore.

  8. Syl. dit :

    C’est un titre noté depuis longtemps. Je vais rafraichir ma liste et le souligner.
    Beau billet

  9. M de Brigadoon Cottage dit :

    Quand tu dis que c’est un  » chef d’oeuvre  » , je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi , c’est un bon livre , mais la fin n’est pas aussi réussie que l’ensemble . C’est pourquoi le film complète bien la lecture .

    • missycornish dit :

      Pour moi c’est un « petit » chef-d’oeuvre d’écriture. L’exercice de style est réussi, l’atmosphère gothique est vraiment bien restituée (ça m’a un peu rappelé Les brumes de Riverton, il faut vraiment que je relise ce livre, je m’en souviens vaguement,je crois qu’il y avait un triangle amoureux entre deux sœurs et un poète romantique tourmenté dans un vieux manoir anglais, le reste de l’intrigue demeure assez floue). J’ai vraiment passé un bon moment de lecture avec Le treizième conte, mais je ne suis de toute façon pas objective. La fin du livre est réussie sauf, bien entendu le dernier chapitre, qui finalement n’apporte pas grand chose à l’histoire. A mon sens, on peut le lire séparément. Mais tu as raison, il faut bien le reconnaître la qualité d’écriture des dernières pages du livre est nettement inférieure au reste, elle a été bâclée c’est certain. C’est étrange d’ailleurs, ces pages plutôt médiocres semblent avoir été écrites par une autre personne. Peut-être l’éditeur a-t-il effectué des corrections, tronquant une partie du texte, comme l’avait fait la traductrice française de Rebecca? Je jetterai bien un œil à la version originale du livre pour comparer…

  10. cleanthe dit :

    Ton billet très complet et très alléchant ferait déjà courir n’importe quel lecteur chez son libraire, alors un inconditionnel d’Henry James comme moi! Là, tu titilles vraiment ma curiosité…

    • missycornish dit :

      C’est vraiment un très bon roman. J’aime beaucoup ces références à Henry James et aux sœurs Brontë, comment d’ailleurs résister ? Ce sont mes auteurs favoris. J’aimerais bien lire son second roman pour savoir s’il est aussi réussi! J’aimerais connaître ton avis sur ce livre.

  11. Arieste dit :

    J’ai beaucoup aimé ce livre, je ne savais pas que qu’un téléfilm existait il faudra que je le trouve 🙂

  12. Sev dit :

    Ah! Encore un truc à ajouter à ma wishlist! Et puis je viens de finir de visionner ma série, il me faut donc quelque chose d’autre à me mettre sous la dent… Je vais regarder l’adaptation de la BBC 🙂 Merci!

  13. Catherine dit :

    J’avais adore ce livre. Moins le telefilm de la BBC par contre.
    Et je suis passee completement a cote de son 2eme roman par contre, comme me l’a gentiment fait comprendre la traductrice francaise du roman…(sighs!)

    • missycornish dit :

      Lol tu as pu échanger avec la traductrice, la classe! Je lirai sans-doute son deuxième roman avec plaisir même doute qu’il soit aussi bon que son premier. Difficile de faire mieux, pour moi c’est déjà un chef-d’oeuvre de la littérature contemporaine.

      • Catherine dit :

        non tu vois, au contraire, j’en suis ressortie toute penaude parce que c’est elle qui est venue lire mon article en me disant que j’avais rien compris au livre… Donc pas de classe! Meme si elle a raison, ca fait jamais vraiment tres plaisir. Bref, je serais interessee de connaitre ton avis sur le 2eme mais tu risques sans doute de le percevoir mieux que moi.

  14. Maêlle dit :

    Une auteure inconnue qui donne envie d’être découverte à travers ce livre ! Je note l’idée de lecture dans un coin… 🙂

  15. cora85 dit :

    Je ne connaissais pas du tout cette histoire, que tu m’as donné envie de découvrir !
    Je vais essayer de trouver son adaptation télé.
    Ondine

    • missycornish dit :

      Regarde-la Ondine, c’est une petite pépite. J’adore la BBC, je me suis constitué une petite collection au fil des années et je prends toujours autant de plaisir à visionner ces adaptations. Il y a souvent peu de moyens comme d’effets spéciaux et pourtant le résultat est toujours remarquables et les acteurs excellents. Ce n’est pas en France que l’on serait capable d’en faire autant!

  16. M de Brigadoon Cottage dit :

    Je l’avais lu il y a très longtemps et j’en avais gradé un bon souvenir . Il me semblait me rappeler que j’avais été un peu déçue par la fin …. Le film est très bien , belle photo , supers acteurs, ambiance à frémir et tout ça sans le moindre effet spécial !!!!! Bien la BBC !!!!! Je trouve que lecture + film fonctionnent très bien . Ce qui n’est pas toujours le cas !

    • missycornish dit :

      C’est vrai que cette fois-ci l’adaptation télévisée est assez fidèle. Je trouve que le choix des acteurs était réussi. J’imaginais peut-être la narratrice biographe plus jeune et moins effacée mais finalement elle est très bien en contraste de la personnalité rayonnante de Vida Winter et de son physique très pimpant.

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