Les derniers jours de Stefan Zweig en B.D

Voilà une bande-dessinée pour laquelle j’avais succombé lors d’une promenade dans une rue commerciale de Saumur, il y a déjà deux ans. J’étais venue rendre visite à ma sœur la Gueuse qui y résidait pour ses études. Hier, je me suis donc plongée avec délectation dans cette lecture bouleversante. J’ai achevé ce beau livre, le cœur gros et les yeux embués par l’émotion.

Les derniers jours de Stefan Zweig

1942.

 Leur patrie désormais sous la coupe de l’Allemagne nazie, Stefan Zweig et son épouse Lotte n’ont d’autres alternatives que de fuir l’Autriche. Après plusieurs escales, le couple choisi de se réfugier au Brésil où l’auteur a toujours été traité avec beaucoup d’égard par la population autochtone, et en particulier depuis la parution de son livre, Brésil terre d’accueil. Exilé à Petropolis, ses œuvres ayant subi l’autodafé nazi, cet humaniste tourmenté ne peut plus être publié dans sa propre langue, l’allemand. Se sentant pris au piège et hanté par la disparition de plusieurs de ses proches restés derrière lui en Autriche, Zweig pressent l’écroulement imminent de son monde. L’écrivain désespéré, prend alors une décision irrémédiable, le Brésil sera son ultime voyage.

Le lecteur découvre ici deux personnalités singulières : celle d’un homme persuasif et d’une femme éperdument amoureuse de son mari et à la fragilité émouvante qui n’est  pas sans rappeler l’héroïne tragique de Lettre d’une inconnue.

A mon grand regret, je n’ai pas encore eu l’occasion de lire le roman original de Seksik qui inspira cette bande-dessinée et dont la qualité d’écriture doit être indubitablement supérieure. Si le suicide de Stefan Zweig, bien que prévisible, demeure déchirant, celui de Lotte, sa seconde épouse, tant éprise de lui, inspire davantage de peine. L’emprise qu’avait Stefan Zweig, perméable à la psychologie féminine, sur Lotte, reste fortement dérangeante et a modifiée le regard que je portais sur cet auteur que j’admirais pourtant grandement depuis la lecture de Vingt-quatre heure de la vie d’une femme.

Bien que l’auteur de cet album, Seksik esquisse le portrait d’un homme tourmenté, plongé dans une détresse sans fond avec beaucoup de subtilité, il semble dépeindre avec davantage de conviction et de talent la personnalité passionnée de Lotte, la secrétaire et épouse dévouée de Stefan Zweig, (de trente ans sa cadette, quel séducteur!). Cette femme attendrissante, loyale, admirative et aimante et qui jalousait pourtant la compagne de l’écrivain autrichien, Frederike, une ombre troublante qui planera jusqu’à leur dernier souffle au dessus de leur couple, est admirable. A bien des égards Lotte ressemble à l’épouse de Tolstoï. On retrouve le même amour inconditionnel, un sentiment profond teinté de respect et d’admiration pour l’autre qui m’a ému. Cette relation douloureuse entre Stefan Zweig et Lotte expose également la difficulté d’aimer et d’être aimé d’un grand artiste.

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Le sujet traité est grave pour un tel support, et cette initiative d’écriture reste à mes yeux quelque peu délicate, (J’étais dubitative quand à l’idée d’évoquer le récit de l’exil puis du suicide de Stefan Zweig et de sa femme dans une bande-dessinée, cela me semblait un peu « déplacé »), cependant, le défi est largement relevé. Le graphisme est sublime et particulièrement ces couleurs turquoises et ocres que le dessinateur Sorel a parsemé au fil des pages. L’album a été conçu avec beaucoup de goût et de tact. Il y a de belles images que j’ai contemplées plusieurs fois pour ne rien manquer, comme la scène où Lotte pleure sous la pluie, les gouttes ruissellent sur son visage et se mêlent à ses larmes alors qu’elle songe à la détresse dans laquelle son époux s’enferre un peu plus chaque jour.

Un dernier mot sur la couverture : Ne la trouvez-vous pas magnifique et en particulier la posture de ce couple si fusionnel ? Stefan Zweig, soucieux fixant l’horizon qui s’offre sous ses yeux, l’air grave et distant, déjà absent ; et Lotte la tête délicatement inclinée sur l’épaule de son époux bien-aimé, triste et pourtant si confiante, tenant jalousement entre ses mains le fruit d’un travail acharné, le dernier chef-d’œuvre de son mari, Le Monde d’Hier, et la dernière pierre qui viendra s’ajouter à ce monument littéraire colossal qu’il laissera derrière lui après sa disparition.

A noter que cet album ne s’adresse qu’à un lectorat éclairé. Je doute qu’il y ait beaucoup d’intérêt à le lire si on ne connait pas ou très peu la biographie et les œuvres de l’écrivain autrichien, le lecteur risquerait d’être hermétique au sujet tout comme au concept. Je garderai précieusement ce livre de collection, un hommage à la hauteur de cet illustre homme de lettres.

Il me reste encore de nombreux ouvrages à lire pour poursuivre mon exploration de l’univers de Stefan Zweig mais je ne voudrais pas me précipiter et gâcher ces plaisirs de lectures, car que me resterait-il ensuite ? Marie-Antoinette me fait de l’œil depuis plusieurs mois, peut-être sera-t-il ma prochaine lecture?

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7 commentaires pour Les derniers jours de Stefan Zweig en B.D

  1. Marion dit :

    Je l’ai croisée plusieurs fois sans jamais succomber à la tentation… Mais là, ton avis me donne vraiment envie de la découvrir!

    • missycornish dit :

      Bonjour Marion! Je suis contente de t’avoir convaincue! J’espère qu’il te plaira aussi. Je pense toutefois que j’aurais préféré lire le roman original avant la B.D. A très bientôt!

  2. Lili dit :

    Je te conseille effectivement le Seksik que j’avais trouvé à la fois tendre et pertinent.
    Et tu me donnes l’eau à la bouche avec cette BD hmm !

  3. Merci de m’informer de l’existence de cette bande dessinée. Je viens justement de lire les Lettres de Stefan Zweig et de sa femme, magnifiques. J’aime Stefan Zweig. Bonne journée !

  4. M de Brigadoon Cottage dit :

    Je suis entièrement d’accord avec toi, je suis restée hermétique à la BD , mais je vais vraiment lire cette année Vingt quatre heure de la vie d’une femme . Depuis le temps !!!!

    • missycornish dit :

      Tu verras c’est très bien! Je te prêterai aussi le dvd, l’adaptation française du livre est pas mal même si elle ne respecte pas tout à fait la trame de l’histoire.

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