Si les sœurs Bennet semblent avoir pratiquement toutes trouvé chaussures à leurs pieds (et filent le parfait amour ou presque avec leurs époux respectifs), Mary Bennet demeure encore la grande déception de sa mère qui ne sait que faire de ce vilain petit canard. Moins chanceuse que sa fratrie, la jeune femme un tantinet gauche et timorée, ne paraît posséder en effet ni sa beauté ni sa grâce pour pouvoir envisager une quelconque union. La voilà à la merci de sa mère, une femme bavarde, acariâtre et mesquine qui ne voit en elle qu’un terrible fardeau. Mary s’est résignée : ses attraits peu sensuels n’ont guère d’effet sur la gente masculine…
Quelles perspectives d’avenir peut bien avoir cette dernière quand tout son entourage la perçoit déjà comme une future vieille fille? Doit-elle abdiquer et se ranger à l’avis général en devenant une triste gouvernante, voyant sa jeunesse flétrir et s’user au contact d’enfants infernaux, ou même adopter l’attitude démissionnaire de Miss Charlotte Lucas en épousant un homme niais de peur de finir seule et abandonnée de tous? Des perspectives d’avenir apriori bien maigres dans ce monde régenté par les hommes et où la seule et unique force d’une femme semble encore résider dans ses charmes …
Ce roman de paralittérature savoureux lu ces derniers mois en version originale aura été l’un de mes plus grands coups de cœur de lecture. Il a en effet comblé toutes mes attentes et s’est révélé une bénédiction pour moi, une véritable bouffée d’air frais qui m’aura permis de me remettre enfin le pied à l’étrier pour réactiver mon blog. Si j’ai lu quantité de romans, peu valent la peine d’en parler. Étant une fervente admiratrice de l’œuvre de Jane Austen, une romancière qui me fascine car elle fut une vraie précurseuse du féminisme au XIXème siècle, je ne pouvais qu’être séduite par ce bel hommage littéraire. Jane Austen est une romancière exceptionnelle qui a en outre un talent indéniable pour dépeindre sans œillères les travers de son temps en grossissant à la loupe, à la manière d’un ethnologue perspicace, les personnalités et comportements grotesques de ses contemporains. Janice Hadlow elle aussi réussit avec brio à recréer les mondanités de la Régence mais en apportant une finesse psychologique rare pour un roman de cette facture.
Le personnage féminin de Mary est ici admirablement bien portraituré. Comme j’ai aimé son tempérament, celui d’une jeune femme sans artifice éprise de liberté. Bien que sa soif de connaissance et son caractère taciturne l’a rendent quelquefois froide, distante et même condescendante pour son entourage, Mary dissimule pourtant au fond une âme tendre et généreuse. En outre, il est triste qu’elle n’ait aucune complicité avec ses sœurs ; Jane et Elizabeth sont proches comme des jumelles quand à Kitty et Lydia, leur bêtise et leur frivolité tout comme leur narcissisme exacerbé ne leur permettent aucune véritable amitié. Elles n’ont que faire de la solitude de Mary car elles sont bien trop occupées par leurs propres frasques.
Notre timide héroïne quant à elle se soucie peu de l’apparence physique qui n’est pas un critère essentiel pour elle car elle souhaite avant tout rencontrer un compagnon de vie qui sera à défaut d’un amant, du moins un ami. Trouvera-t-elle à son tour un partenaire avec qui elle pourra partager sa passion de la lecture et sa soif de connaissance? Réussira-t-elle elle aussi à accéder enfin au bonheur? Tel est tout l’enjeu de cette très belle romance.

Si Mary semble de prime abord assez fade, ses faux-air de Jane Eyre la rendent progressivement sympathique et attachante aux yeux du lecteur. Condamnée à la mort de son père à vivre et à se déplacer d’une propriété à une autre comme une nomade, Mary est perspicace sur son sort, elle sait très bien que son tempérament n’est pas non plus toujours des plus séduisant. La jeune femme est extrêmement renfermée, et ses seuls refuges sont ses livres et son pianoforte. En somme, elle fait beaucoup de peine car à l’instar de Jane Eyre, elle est souvent perçue comme une créature insignifiante, une femme trop commune dont personne ne semble vraiment se soucier.
Je dois l’avouer, j’ai grandement apprécié cette lecture hautement romanesque. L’auteure fait renaître, grâce à sa plume fabuleuse, les personnages hauts en couleurs de Jane Austen et réussit même à raviver l’intrigue au fil des pages en entraînant l’héroïne dans une délicieuse idylle. Émaillé de réflexions profondes sur la vie et sur ce qui fait le succès d’un couple, l’histoire est moins enlevée qu’elle n’y paraît à première vue.
Ce brillant exercice de style donnerait matière à une très belle adaptation télévisée dans la même veine que Sanditon (un feuilleton anglais sorti récemment sur le petit écran et qui m’avait aussi captivé). Espérons que quelqu’un ait l’idée de s’y atteler promptement.
Les portraits masculins sont également plutôt bien ébauchés et en particulier le fameux homme pour qui son cœur finit par chavirer… A l’heure où le « wokisme » encourage les femmes à demeurer seule pour devenir des “leadeuses fortes et indépendantes” (dixit la nouvelle Blanche-neige de Disney en live-action), ce roman, à mon grand soulagement, n’est pas tombé dans les écueils de ce prétendu “progressisme” et si la romance est particulièrement bien troussée, la mièvrerie n’empiète jamais sur l’histoire, au contraire les réflexions sont d’une maturité étonnante. Aussi le livre fait-il davantage écho à Raison et sentiments. Le héros masculin empreinte d’ailleurs plusieurs traits de personnalité à Edward Ferrars, on retiendra d’ailleurs que les hommes les plus expansifs ne sont pas forcément les plus passionnés. Notre héros (dont je ne divulgue volontairement pas l’identité pour ne pas gâcher l’une des surprises du livre) est un homme posé, raisonnable mais au bon cœur qui s’efforce toujours de faire les bons choix… Mary en apprendra davantage sur elle-même en côtoyant aussi la société de sa tante, une femme aimante et bienveillante peu encline à suivre les codes superficiels de la société. J’ai aimé la relation qu’elle file peu à peu avec cette fameuse tante, une mère de substitution bienveillante.

J’ai aussi énormément été touchée par le portrait saisissant que fait l’auteur de Mr Collins. Elle lui apporte plus de densité. Son ébauche était souvent à mon sens un peu trop réductrice et risible dans Orgueil et Préjugés. Dans l’adaptation de 2005, une scène semblait suggérer un rendez-vous manqué entre Mr Collins et Mary. Ce pasteur maladroit est un homme conscient de son ridicule qui tente lui aussi vainement de se faire aimer de son entourage, sans grand succès. La naïveté de ce grand timide m’a touchée comme sa sensibilité à fleur de peau, dissimulée sous des dehors caustiques. Egrenant sans succès des boutades pour amuser la galerie, il demeure toujours aux yeux de cette société un être pathétique.
Une étrange idylle aurait peut-être pu naître entre Mr Collins et elle. Cet aspect original et pertinent du livre m’a interpellé. Je suis convaincue que Mary aurait pu réellement rendre heureux Mr Collins si ce dernier l’avait remarqué et n’avait pas été aveuglé par la beauté éclatante de Jane et d’Elizabeth. Le présenter sous les traits d’un homme mal à l’aise en société, qui en fait trop certes au risque de paraître complètement ridicule mais qui se révèle très vulnérable est hautement romantique. Mr Collins est ainsi perçu comme un homme désespérément seul qui a cru pouvoir lui aussi aspirer à une grande histoire d’amour en se faisant aimer de Charlotte, l’amie terne d’Elizabeth. Le piège conjugal finit par se refermer sur cette vieille fille qui pensait voir en Mr Collins un simple imbécile. Cette figure féminine déçoit car elle manque cruellement de courage et semble profiler une personnalité aigrie par la vie qu’elle s’est choisie. J’ai eu un pincement au cœur lorsque Mr Collins tente vainement de s’attirer la sympathie de son épouse Lucas qui ne voit en lui qu’une source de revenu.
Il y aurait encore tant à dire sur ce roman sublime!
Pour conclure, The Other Bennet Sister propose une vision de Mary Bennet des plus attendrissante. Janice Hadlow est assurément une auteure à suivre de prêt. Cette Austenerie fine offre en effet des réflexions profondes sur la valeur du mariage et l’accès au bonheur en faisant au passage un bel éloge des plaisirs simples du quotidien. Je vous recommande chaudement cette petite pépite bouleversante qui m’a donné envie de visionner à nouveaux mes adaptations favorites des romans de Jane Austen (Raison et sentiments/ Orgueil et préjugés gardent une place toute particulière dans mon cœur).
En bref: ces 700 pages savoureuses et passionnantes m’ont enchantée. Une lecture immersive ô combien satisfaisante!



Que d’envie de le lire après cet éloge !
Vraiment dommage que ce livre n’existe pas en français. J’aime beaucoup l’idée, d’autant plus le choix du personnage.
Oui je ne comprends pas pourquoi d’ailleurs. Il se vendrait bien. J’ai hésité à en parler par ici mais je me dis qu’un éditeur finira par le traduire vu son succès.
J’aime beaucoup l’idée, et je me dis pourquoi pas !
Ah tente ce livre c’est un petit bijou!